La photo est belle et le message diplomatique fort. Ce 2 novembre, à quatre semaines de l’ouverture de la conférence, François Hollande serre la main du président chinois pour sceller une déclaration commune qualifiée de « coup d’accélérateur pour la COP21 » par Laurence Tubiana, l'ambassadrice française en charge des négociations sur le changement climatique.
Les deux pays veulent « un accord ambitieux et juridiquement contraignant ». Ils souhaitent que tous les pays révisent leurs engagements « dès 2017-2018 » et « qu’une revue complète ait lieu tous les cinq ans sur les progrès accomplis » pour limiter le réchauffement du climat de la planète à 2°C d’ici la fin du siècle. Une telle déclaration était inimaginable il y a six ans, au moment de la Conférence de Copenhague. Alors pourquoi maintenant ?
Tout d’abord l’urgence d’agir est désormais dans toutes les têtes : 26 millions de personnes, soit une par seconde, sont déplacées chaque année à cause des catastrophes naturelles. Un phénomène qui va s’amplifier avec les changements climatiques. Or, les difficultés avec lesquelles les pays de l’Union européenne gèrent cet automne l’afflux de milliers réfugiés à leurs portes prouvent la nécessité de tout faire pour que chaque humain puisse continuer à vivre sur sa terre d’origine.
Ensuite, il n’est pas nécessaire d’être scientifique pour percevoir que les conséquences des changements climatiques sont déjà là. Les agriculteurs en Inde, les éleveurs peuls du Tchad et les habitants des Philippines constatent chaque jour les modifications du cycle des pluies, la raréfaction des points d’eau, l’évolution de la biodiversité et le rythme accru des événements météorologiques extrêmes.
La géopolitique du climat a évolué
Face à cette urgence que ressentent les grandes nations sur leur propre territoire, la géopolitique du climat a évolué. La Chine et les Etats-Unis, les deux plus grands pollueurs de la planète, souffrent eux aussi de la désertification, des inondations, de la pollution et du manque d’eau. En novembre 2014, ils ont, pour la première fois, pris des engagements fermes de réductions d’émissions de gaz à effet de serre.
Tout comme l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud. Ils ont aussi accepté, comme plus de 146 pays, de s’engager sur une trajectoire chiffrée de réduction de leurs émissions d’ici 2030 en rendant leur contribution nationale aux Nations Unies. Bien sûr, le compte n’y est pas. Il va falloir relever le niveau des ambitions qui nous emmènent aujourd’hui sur une trajectoire de près de 3°C de réchauffement global d’ici la fin du siècle. Mais c’est le début d’une dynamique historique.
La tour de table des financements
Autre élément de contexte favorable : la mobilisation internationale pour relever le défi, annoncé à la conférence de Copenhague en 2009, de mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 pour aider les pays en voie de développement à s’adapter aux conséquences des changements climatiques.
Les ministres des Finances des principaux pays concernés, le Fonds Monétaire International, l’OCDE, la Banque Mondiale, les Nations unies et des acteurs économiques et financiers se sont retrouvés à Lima au Pérou le 9 octobre dernier. A cette occasion, l’OCDE a dévoilé dans un rapport que 62 milliards de dollars étaient déjà mobilisés. 71% à travers des financements publics des pays industrialisés, le reste provenant de financements bancaires ou industriels levés par les mêmes pays.
De son côté, la Banque Mondiale a annoncé qu’elle allait réunir 26 milliards de dollars pour 2020. Les banques de développement de tous les continents se sont, elles aussi, engagées à verser 15 milliards de dollars supplémentaires au Fonds vert pour le climat, d’ici à 2020. Et le tour de table n’est pas terminé puisque de nombreux pays ne se sont pas encore prononcés sur l’effort financier qu’ils seront prêts à consentir. Cette dynamique est essentielle car pour les pays du Sud, cette mobilisation financière est la condition sine qua non du contrat de confiance avec les pays industrialisés, historiquement responsables des changements climatiques.
Des technologies accessibles
Le piège serait de tout attendre du résultat des négociations onusiennes. Or la lutte pour stabiliser le climat se passe dans de nombreuses autres sphères. Dans le domaine économique par exemple. Les technologies de la transition vers une économie bas carbone sont désormais accessibles. Le prix des cellules photovoltaïques est passé de 60 dollars le watt en 1976 à 0,66 dollar en 2013.
Selon l’économiste américain Jeremy Rifkin, l’énergie solaire sera en 2020 au même niveau de prix de vente au détail que l’électricité produite par les centrales à charbon. Cela permet de surmonter des réticences politiques et financières qui empêchaient jusqu’à récemment un changement à grande échelle.
L’Afrique du Sud, par exemple, émet près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre du continent africain à cause de ses treize centrales à charbon qui produisent 90% de l’électricité du pays. Or dans son plan national de gestion intégrée des ressources, le gouvernement sud-africain a annoncé ses choix énergétiques à l’horizon de 2020. Il s’est engagé à construire 42,6 GWh de nouvelles capacités de production d’ici 2030, dont 42% devraient provenir d’énergies renouvelables.
De son côté l’Inde a annoncé dans sa contribution remise aux Nations Unies le 1er octobre qu’elle allait augmenter la part des sources d’énergies propres à hauteur de 40 % de sa production d’électricité d’ici à 2030. Plus globalement, depuis 2013, plus de la moitié des nouvelles capacités de production d’électricité dans le monde exploitent des énergies renouvelables. Cet élan va prendre de l’ampleur dans les années à venir, surtout si les pays industrialisés honorent leurs engagements financiers et de transferts de technologies envers les pays en développement.
La mobilisation citoyenne est au rendez-vous
Enfin, les citoyens sont fortement mobilisés. Leur comportement quotidien évolue doucement. L’économie du partage qui donne la priorité à l’usage sur la propriété suscite de plus en plus d’engouement. La campagne de désinvestissement des énergies fossiles lancée par le mouvement 350.org gagne du terrain. Des millions de personnes sur tous les continents s’investissent dans des projets de reforestation, d’accès aux énergies renouvelables, de mobilité ou d’habitat partagés…
Ils étaient plus de 400 000 manifestants dans les rues de New-York en septembre 2014 et dans au moins 2 000 villes de par le monde. Combien seront-ils le 29 novembre 2015 dans les rues de Paris et ailleurs pour mettre la pression sur les chefs d’Etat rassemblés dans la capitale française pour ouvrir la COP 21 ?
C’est un tableau volontairement optimiste qui ne souligne que les dynamiques positives. Bien sûr que de nombreuses résistances persistent. Huit des dix premières entreprises mondiales en termes de capitalisation boursière dépendent encore directement du pétrole. Mais l’urgence est là, le contexte politique et économique mondial est favorable à un sursaut politique courageux et ambitieux. Aura-t-il lieu ? Réponse le 12 décembre 2015…