Le projet chimérique d'une compétence universelle en France

Alors que la France vient d'ouvrir une enquête préliminaire sur les crimes du régime syrien, l'ONG Amnesty international lance ce mercredi 21 octobre une campagne pour qu'une vraie compétence universelle soit inscrite dans le droit français. Amnesty international s'insurge du fait qu'il est aujourd'hui difficile en France de poursuivre les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.

Surprenant, mais aujourd'hui, Bachar el-Assad, Kim Jong-un ou n'importe quel responsable de milices coupables des pires crimes peuvent venir à Paris sans être inquiétés. Alors Amnesty international interpelle le gouvernement à travers sa campagne intitulé « France : destination impunité ».

« Ces criminels peuvent venir en France pour passer des vacances, faire du shopping, se faire soigner, sans être poursuivis », martèle Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty international France, ajoutant : « c’est ce que nous dénonçons à travers notre campagne, il faut être cohérent avec les engagements que prend la France. On ne peut pas avoir été un des pays promoteurs du traité de Rome, de la Cour pénale internationale [CPI, ndlr], mais en plus avoir introduit quatre verrous qui rendent cette compétence universelle de la France totalement inopérante dès lors que ces personnes se rendraient sur notre territoire ».

On peut facilement poursuivre un tortionnaire, pas un génocidaire

En théorie, la compétence universelle permet de poursuivre les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité, de génocides, quel que soit le lieu où le crime a été commis. Pas d'impunité possible, mais, en théorie seulement, car en droit français plusieurs verrous rendent les poursuites ardues, plaide l'avocat Simon Foreman : « Ce qui est très paradoxal, c’est que plus le crime est grave, moins on peut le poursuivre. Si c’est un simple tortionnaire on peut le poursuivre, on a depuis le milieu des années 1990 une loi qui donne compétence universelle aux tribunaux français en matière de torture. Par contre, quand on monte dans la gravité des crimes et que l’on atteint les crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocides, la loi devient beaucoup plus restrictive. Il faut que la personne ait en France sa résidence habituelle ».

Un parquet omniprésent

Autre verrou : le monopole des poursuites est confié au procureur, empêchant ainsi les victimes de porter plainte. Ce verrou est très efficace puisqu’il permet aux Etats de faire comme bon leur semble, analyse Emmanuel Daoud, pénaliste inscrit à la CPI : « Manifestement les pouvoirs publics français ne veulent pas se retrouver dans la situation qu’a connu la Belgique ou l’Espagne. S’agissant de la Belgique, certains responsables de l’Etat d’Israël faisaient l’objet de poursuites directes sur la base de la compétence universelle à la Belge, c'est-à-dire la plus large et sans verrou aucun, et l’Etat d’Israël a fait pression sur la Belgique… Les Belges sont revenus sur cette législation. En Espagne, les juridictions espagnoles étaient saisies de plaintes pour crimes contre l’humanité de réfugiés tibétains visant directement les plus hauts dignitaires chinois. La loi a aussi été modifiée et verrouillée. Les Etats ne veulent pas se retrouver à gérer des plaintes, par exemple contre Vladimir Poutine, ou peut-être même aujourd’hui Barack Obama, à la suite du bombardement par les forces américaines de l’hôpital MSF [Médecins sans frontières] en Afghanistan [l’hôpital MSF à Kunduz, bombardé par l’Otan, le 3 octobre dernier] qui est un crime de guerre. On fait de la realpolitik plutôt que de défendre les droits de l’homme de façon efficace et volontaire ».

Une porte qui se ferme

Pour y remédier, et lever les verrous, le gouvernement doit inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale une proposition de loi intitulée « Loi Sueur », mais depuis deux ans, rien ne bouge. « Il y a comme une porte qui se ferme devant nous », dit Geneviève Garrigos. « On nous renvoie de ministères en ministères, de raisons en raisons. J’ai entendu des choses aussi farfelues que : "cette compétence universelle n’est pas applicable !" Pourquoi alors, la France a-t-elle soutenu ce projet quand il a été présenté à l’Assemblée générale des Nations unies ? »

Car en matière de justice internationale, martèle le pénaliste Emmanuel Daoud, l'Etat se réserve le droit d'intervenir ou pas : « La capacité à pouvoir verrouiller, à ne pas laisser un accès au droit et à la justice, notamment aux associations, aux ONG, et plus largement aux victimes, permet à l’Etat français, toutes couleurs politiques confondues, de pouvoir gérer la justice en fonction des intérêts de notre diplomatie et parfois malheureusement aussi de notre économie. »

La compétence universelle, est par conséquent loin d'être absolue. Les ONG et les victimes veulent donc aujourd'hui faire bouger les lignes pour que l'on ne puisse plus qualifier la France de « destination impunité ».

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