Bicentenaire: à Waterloo, la star c’est toujours Napoléon

Deux cents ans après sa défaite à Waterloo, Napoléon 1er reste plus que jamais le personnage central des lieux au détriment de ses vainqueurs, le duc de Wellington et le feld-maréchal Blücher. A l’heure du bicentenaire, l'ombre de l'Aigle plane toujours sur le champ de bataille. Visite.

Dans la lignée de cette légende tenace qui veut faire des Français des perdants magnifiques plutôt que d’insatiables vainqueurs – cela va d’Alesia et Vercingétorix(52 av. J-C) jusqu’à Séville et Platini (1982), en passant parRoland à Roncevaux (778) - Waterloo figure en très bonne place. A l’heure où l’on célèbre le bicentenaire de la fameuse bataille, celle qui mis fin pour de bon à l’épopée napoléonienne, il suffit de se rendre sur les lieux même de cette plaine wallonne chargée d’Histoire pour réaliser à quel point la marque de l’empereur y reste encore prégnante. 

Evincé Wellington-le-triomphant, éclipsé Blücher-le-revanchard, à Waterloo, deux cents ans après l’épique carnage (environ 11 000 morts et 35 000 tués sur 180 000 combattants ainsi que 10 000 chevaux abattus), la star c’est bien toujours Napoléon 1er, le vaincu de ce fameux 18 juin 1815. D’ailleurs, si cette plaine située à guère plus d’une vingtaine de kilomètres du centre de Bruxelles s’apprête à accueillir quelque 200 000 visiteurs le jour J du bicentenaire, c’est bien à cause de la légende, planétaire, du « Petit Caporal » devenu empereur. 

Wellington, connais pas.

« Il a beau avoir perdu, il reste le personnage emblématique ici », confirme Nancy Schroeters, directrice du Musée de la Ferme du Caillou située dans la commune voisine de Genappe. Cette maison toute blanche, désormais au bord d’une départementale, fut le dernier QG de Napoléon. « Là où il passa sa dernière nuit en tant qu’empereur », précise Nancy, presque navrée de la défaite française. « Si vous posez la question à un enfant, reprend la souriante Wallonne, tout le monde connait Napoléon. Et si vous demandez quel est le nom du vainqueur, il y a peu de gens en réalité qui connaissent Wellington ! ».

Et pan sur le bec du duc, lequel a quand même, lui aussi, un musée érigé en son honneur en ville, mais pas refait à neuf comme vient de l’être celui de la Ferme du Caillou, transformée en musée en 1951 et dont on fêtait - avec hussards en costume, canon d’époque, champagne et petits fours - la réouverture après rénovation, le jour de notre passage. « On est le point de départ pour comprendre le champ de bataille », reprend Nancy Schroeters, pas peu fière de ce conservatoire champêtre tout à la gloire de l’ex-empereur et dont la réfection a quand même coûté pas loin d’1 million d’euros, financés en grande partie par la commune de Genappe et la province du Brabant Wallon.

Il faut avouer que, pour la modique somme de 5 euros plein tarif, l’endroit vaut franchement le détour tant ses conservateurs en ont soigné les moindres détails. Fusils modèle 1777, canon Gribeauval de 12, statuettes, figurines, cartes et mobilier d’époque, lit de camp pliant Desouches où a dormi l’empereur, mais aussi gravures, estampes, dioramas et reconstitution du dernier conseil de guerre avec tous les maréchaux, sans oublier le squelette entier d’un hussard récupéré lors de fouilles… rien ne manque pour se rapprocher, au plus près, de la légende.

« Ici on vous parle de la veille de la bataille, du sentiment des hommes, du ressenti de Napoléon, de ses états d’âme, de la manière dont il a établi sa stratégie, on est vraiment dans l’avant », conclut Nancy Schroeters sur le ton de la passion. Passionné, André Daene l’est tout autant mais, en tant que guide officiel du site de la bataille, il sait rester plus neutre. Un peu normal quand on doit retracer l’histoire à des visiteurs de tous âges et de tous horizons. Ancien ingénieur chimiste féru d’histoire et tout nouveau retraité, André, 65 ans, connaît son sujet sur le bout des doigts, même s’il insiste avec modestie qu’il n’est pas historien ni universitaire.

Un Anglais bonapartiste

Reste que lui aussi est marqué par le charisme de Napoléon. « Il reste le personnage important de l’endroit et c’est bien entendu lui, avant tout, qui fait se déplacer les foules. Qu’on l’aime ou pas d’ailleurs ». A vrai dire, le temps aidant, les contempteurs de Napoléon se font de plus en plus rares.

Andrew Roberts, un historien anglais renommé, a même publié dans l’édition de juin de la revue du prestigieux Smithsonian Magazine américain un article intitulé « Pourquoi nous nous en serions mieux sortis si Napoléon avait gagné à Waterloo ». En conclusion de cette uchronie argumentée, l’illustre historien en déduit qu’une victoire de l’empereur aurait  favorisé l’avènement de la démocratie dans toute Europe, accéléré l’abolition de l’esclavage à travers le monde, empêché l’holocauste et les deux guerres mondiales, une théorie que personne en France n’oserait avancer sous peine d’être accusé de délire nationaliste.

« Mais vous savez que Napoléon est un mythe peut-être encore plus fort en dehors de la France. Il est notamment  très apprécié pour ses qualités de stratège militaire », insiste Louis, lui-même militaire, mais belge et en civil, venu admirerle tout nouveau Mémorial 1815 de la Butte du Lion, gigantesque édifice aménagé en sous-sol  (pour respecter le site) et ouvert de fraîche date, en prévision du bicentenaire (coût : 40 millions d’euros). Louis aussi aurait, somme toute, préféré une victoire de l’empereur en juin 1815. Il a d’ailleurs dépensé 80 euros en souvenirs napoléoniens à la boutique du Mémorial pour marquer son passage.

Tout à son calme et à son devoir de réserve, André Daene, refuse de se laisser entraîner sur le terrain de la « Napomania ». « Cette bataille de Waterloo, rétorque-t-il à Louis, a mis un point final à une vision de l’Europe qui n’aurait pas pu se développer à mon avis ». « Le concept de blocus continental développé par Napoléon, poursuit André, n’était pas viable à terme ». « La bataille de Waterloo, argumente-t-il encore, représente d’un point de vue politique la fin d’une époque que l’on peut appeler « la vision française de l’Europe » et le début d’une autre, qui est celle du Congrès de Vienne, qui nous emmènera jusqu’ en 1914 avec d’autres développements ». Au vu des horreurs du XXe siècle, on est pas obligé d’être convaincu non plus par ses arguments mais le raisonnement a le mérite non négligeable de s'appuyer sur la vérité historique.

Louis et André, deux Belges en désaccord, la chose n’est pas nouvelle tout compte fait. Elle est même antérieure à la Belgique telle qu’on la connaît aujourd’hui. « A la bataille de Waterloo, il y avait en effet des Belges dans chaque camp », sourit André Daene« Il y en avait dans l’armée du Royaume Uni et des Pays-Bas. Mais, poursuit-il, comme la Belgique avait été un ensemble de neuf départements français jusqu’en 1813, pas mal de Belges avaient été appelés par la conscription. Pour l’anecdote, sourit-il, sachez qu’’il y avait même un général belge dans l’armée hollandaise dont le frère était colonel dans l’armée française ! ».

Hôtel complet quatre ans à l’avance

Hasard des rencontres, c’est un Belge célèbre qui sera notre dernier interlocuteur sur place, une véritable star, mais dans le domaine du ballon rond et non dans l’art de la guerre. Considéré, à juste titre, comme l’un des meilleurs footballeurs belges de tous les temps, Enzo Scifo – connu en France pour avoir évolué à Bordeaux, Auxerre et Monaco – a en effet racheté en 2003 l’hôtel 1815, l’établissement le plus proche de la Butte du Lion, point de ralliement des visiteurs à Waterloo. Comme Napoléon, Scifo était un fin stratège sur les terrains. Et il l’est resté dans les affaires. Pressentant que le bicentenaire allait faire un tabac, il a entrepris des rénovations à forte thématique napoléonienne : toutes les chambres portent le nom d’un des acteurs de la bataille.

« La charge historique des lieux m’a beaucoup plu et m’a donné l’envie de me lancer », confie l’ancien footballeur. « Comme dans la région et à travers le monde on parle beaucoup de Napoléon, j’ai pensé que c’était vraiment un endroit stratégique. Je me suis dit que c’était un pari qui valait la peine d’être tenté et, aujourd’hui, c’est un investissement qui me rapporte pas mal ». Il faut dire que les célébrations du bicentenaire rencontrent un succès que les organisateurs les plus optimistes n’avaient pas osé envisager. 

Des échafaudages étaient déjà en place au début du mois, lors de notre visite, en vue de la plus grande reconstitution de bataille jamais réalisée en Europe. Plus de 6 000 figurants et 300 cavaliers vont en effet  s’affronter deux jours durant sur le théâtre des opérations les 18 et 19 juin (avec des munitions à blanc et sans porter leurs coups évidemment ndlr). Lors de leur mise en vente, les 120 000 billets donnant accès à cette reconstitution de taille réelle étaient partis en quelques jours. Et les 8 000 places supplémentaires rajoutées début mai se sont arrachées en moins de 48 heures. Enzo Scifo, lui, n’est pas surpris par un tel engouement. Ses quinze chambres ont été prises d’assaut depuis belle lurette.  « Pour le bicentenaire, j’affiche complet depuis 2011. Les gens ont réservé quatre ans à l'avance ! », fait mine de s'étonner l’ancien Diable Rouge. L’effet Napoléon, encore.


Alors que de nombreuses personnalités européennes de premier plan ont fait le déplacement pour les commémorations de la bataille de Waterloo, ce jeudi 18 juin en Belgique, ni le président François Hollande ni son Premier Ministre Manuel Valls ne sont présents. Un choix qui n'étonne guère.

Deux cents ans après, Pierre Brandat explique pourquoi la bataille de Waterloo continue en revanche d'intéresser les Européens.

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