La réforme du collège ne passe pas auprès des enseignants

En France, les enseignants se sont mobilisés ce mardi contre la réforme du collège. Selon le Snes, principal syndicat d'enseignants du second degré, un enseignant sur deux serait gréviste. Le ministère de l'Education nationale parle quant à lui de 27 % de grévistes. Malgré la grogne, la ministre Najat Vallaud-Belkacem l'a répété : la réforme du collège entrera en vigueur comme prévu à la rentrée 2016. Quant à la réforme des programmes, elle fait encore l'objet d'une consultation.

Les opposants s'inquiètent notamment pour l'enseignement du latin et du grec, auquel sera privilégié un enseignement interdisciplinaire sous l’appellation « les langues et cultures de l'Antiquité ». Les professeurs d'allemand craignent les effets de la suppression des classes bilangues. Les nouveaux programmes d'histoire au collège ont eux aussi soulevé des polémiques très virulentes. Mais pour les syndicats d'enseignants qui ont appellé à manifester ce mardi, les principaux points de crispation sont l’autonomie accrue des établissements et les enseignements interdisciplinaires.

Une autonomie feinte

Dès la rentrée 2016, les collèges pourront décider en effet de 20% - c'est-à-dire 4 heures - de l'emploi du temps des élèves. Elles pourront être consacrées à de l'accompagnement personnalisé en petits groupes et à des enseignements interdisciplinaires. Plus précisément, les élèves de 5e, de 4e et 3e auront une heure d'accompagnement personnalisé et trois heures d'enseignements pratiques interdisplinaires : les EPI.

Les enseignants ne peuvent pas faire valoir leur expertise puisque ce sont les chefs d'établissement par l'intermédiaire d'un conseil pédagogique qui prennent les décisions. Benjamin Marol est professeur d'histoire-géographie au collège Lenain de Tillemont à Montreuil en banlieue parisienne. Il témoigne : « un enseignant est attaché à sa liberté pédagogique. A partir du moment où le chef d’établissement va imposer des directives dont on ne voit pas la pertinence, cela va entraver notre liberté pédagogique. Cette autonomie ne donne pas plus de liberté, mais plus de servitude. »

La réforme du collège prévoit un accompagnement personnalisé. Il existe déjà en 6e, où il est de trois heures par semaine. Il va être généralisé à raison d'une heure par semaine pour les 5e, 4e et 3e. L’initiative pourrait être salutaire et permettre plus d’égalité entre les élèves. Sauf que, là encore, le contenu des cours d'accompagnement des élèves se fera selon l'arbitrage du chef d'établissement.

Frédéric Boucherot est professeur de physique-chimie dans un collège en banlieue parisienne. Il regrette que cet accompagnement empiète sur des enseignements de base. « Si actuellement, par exemple, on dispense quatre heures de mathématiques pour un niveau donné, il n’y aura plus que trois heures dédiées à cette matière puisqu’on va prélever une heure pour aider quelques élèves. L’accompagnement, c’est une très bonne chose s'il est personnalisé pour aider les élèves en difficulté, mais malheureusement, c’est au détriment d’heures d’enseignement de base qu’ils auront en moins », explique le professeur.

Les EPI

Point clé de la réforme, les Enseignements pratiques interdisciplinaires, les fameux EPI, dont l'idée est de décloisonner les disciplines. Par exemple, deux professeurs de français et d'histoire construiront un cours ensemble. Là encore, les enseignants qui manifestaient ce mardi après-midi ne contestent pas l'idée, mais sa mise en œuvre. « La mise en place des EPI va se faire au détriment des horaires d’enseignement fondamentaux, estime Frédéric Boucherot. De plus, il n’y a aucune annonce qui est faite sur les moyens de concertation de ces travaux interdisciplinaires. Ça ne peut pas se faire comme ça d’un coup de baguette magique ; ces projets d’EPI risquent de se faire par injonction du chef d’établissement puisque c’est le conseil pédagogique qui décidera des thèmes abordés. Pour ma part, l’interdisciplinarité, je ne la vois que sur la base du volontariat des enseignants. On a envie de travailler avec quelqu’un, il faut des aptitudes communes, une entente commune, une volonté de travailler ensemble. La réforme du collège ne prend pas ça en compte. »

A en perdre son latin

La réforme propose de remplacer les « options grec et latin », jugées trop « minoritaires », par une « initiation aux langues anciennes » au sein du français (dont les heures ont pourtant été réduites à peau de chagrin), et par une intégration du grec et du latin à un EPI « langues et cultures de l'Antiquité », module obligatoire optionnel. Face à la pluie de critiques, la ministre a lâché du lest fin mars en proposant d'ajouter un « enseignement de complément » pour les élèves désireux d'approfondir l'apprentissage du latin.

Mais même les élèves les plus motivés verront le volume horaire dévolu à cette discipline réduit de moitié. Ce point est une véritable inquiétude pour les enseignants. « Si la réforme a pour but d’être plus égalitaire, de faire réussir tous les élèves, elle s’y prend mal », souligne Benjamin Marol, professeur d’histoire-géographie dans un collège en banlieue parisienne. Il ajoute : « les langues anciennes aujourd’hui sont enseignées dans 75 % des établissements difficiles. On sait qu’avec les EPI, cela risque de ne plus être le cas. Le latin fait pourtant partie des codes qui permettent de s’intégrer à des études supérieures dans un système républicain qui est élitiste, il faut le savoir. Le fait d’enlever cet enseignement de langue ancienne, c’est créer des différences irréparables dans le temps. »

A l’exception de la FCPE , Fédération des parents d’élèves et de deux autres syndicats enseignants, la réforme du collège fait l'unanimité contre elle. Des syndicats habituellement opposés manifestent côte à côte, certains demandent le retrait pur et simple de la réforme. D'autres comme le Snes, principal syndicat des enseignants du secondaire, demandent la reprise des discussions.

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