En France, la réforme du collège reste une opération à haut risque

Qui aurait dit que dans la France d’aujourd’hui l’enseignement du latin et du grec puisse être au centre de tonitruantes divisions entre politiques et enseignants ? Ce point de discorde sur la réforme du collège voulue par la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem, est loin d’être le seul. Bien des enseignants ne sont pas contents et le font savoir ; une intersyndicale appelle à la grève le 19 mai.

Les uns sont là pour défendre la République, les autres pour sauver la « France éternelle ». La réforme du collège destinée à être appliquée dès la rentrée 2016, provoque les hauts cris à droite sans soulever tellement d’enthousiasme à gauche.

A tel point que le président François Hollande s’est fait un devoir de voler au secours de la réforme, fustigeant le « concert des immobiles » accrochés à des « intérêts particuliers ». Fidèle à sa légendaire pugnacité, et malgré une pétition signée par 231 parlementaires de droite, le Premier ministre Manuel Valls promet d’« aller jusqu’au bout ». 

Classes à deux vitesses  

La guerre entre tenants de l’égalité et partisans de l’élitisme fait tant de remue-ménage qu’elle fait perdre de vue l’objectif du projet défendu par la ministre. Créé en 1975, le collège dit « unique » est censé fournir les mêmes enseignements à tous les élèves entre 11 et 15 ans. Mais par le jeu des options, prendre allemand en première langue ou latin en option, permet par exemple d’être dans une classe de plus haut niveau. Actuellement, seuls 18 % des élèves choisissent l’option latin en cinquième ; ils sont moins de 5 % à poursuivre au lycée. 

C’est précisément ces classes à « deux vitesses » au sein d’un même établissement que vise à faire disparaître le collège nouvelle formule. De la même façon selon l’implantation du collège, centre-ville ou quartier défavorisé, le niveau sera très différent. Ainsi, l’égalité voulue à l’origine est depuis longtemps foulée au pied.  

Aujourd’hui, la réforme portée par Najet Vallaud-Belkacem vise à lutter contre les inégalités entretenues par la forme actuelle du collège. Avec 20 % des jeunes qui quittent le système scolaire sans diplôme, ni qualification, l’urgence à agir est évidente. L’objectif du projet que défend la ministre vise donc à redistribuer les chances. Si le but est louable, les moyens pour y parvenir sont bien loin de faire l’unanimité.

Mise en concurrence
 

Premier point d’achoppement pour les enseignants, la plus grande autonomie accordée aux chefs d’établissement qui pourront choisir 20 % de l’emploi du temps des collégiens. De nombreux enseignants redoutent alors une mise en concurrence entre disciplines, enseignants et établissements, anéantissant de fait la recherche d’une école plus égalitaire.

Mesure phare du futur collège, la création d’« enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI). C’est dans ce vaste édifice que devrait se nicher, à partir de la rentrée 2016, l’enseignement du latin et du grec au sein d’un module « Langues et cultures de l’Antiquité ». Mais devant la fronde des latinistes et hellénistes, le ministère a concédé un « enseignement de complément » facultatif d’une heure en cinquième et de deux heures en quatrième et troisième.

Ce petit pas n’étant pas parvenu à apaiser les inquiétudes, Najet Vallaud-Belkacem a finalement confié au Conseil supérieur des programmes (CSP) le soin d’élaborer un programme clair pour l’enseignement du latin et du grec. Le CSP a jusqu’au 15 octobre pour rendre ses propositions. Sous d’autres cieux, cela s’appelle « botter en touche ».

Rumeurs

Autre point de friction de la réforme, les classes bilingues qui permettent à 16 % des élèves d’apprendre deux langues vivantes étrangères dès la sixième. La réforme entraînera leur disparition sauf pour les enfants initiés dès le primaire à une autre langue que l’anglais. Une aberration pour beaucoup, notamment à un moment où l’exigence pour les langues étrangères se fait de plus en plus forte. Une mauvaise interprétation, affirme Najet Vallaud-Belkacem qui soutient au contraire que la réforme qui introduit l’apprentissage d’une deuxième langue vivante dès la cinquième, verra plus d’enfants concernés qu’auparavant.  

La promesse d’une interdisciplinarité de l’enseignement, autrement dit, des cours où plusieurs disciplines seront mélangées, inquiète aussi les enseignants, faute de visibilité sur les modalités pratiques de mise en œuvre. Les adversaires de la réforme du collège ont aussi vilipendé la réforme de l’enseignement de l’histoire qui fait partie de la refonte des programmes menée en parallèle.   

Selon ces derniers, l’enseignement de l’histoire du christianisme devenait optionnel alors que celui de l’islam devenait obligatoire. Faux, répond la ministre dans une tribune intitulée « Halte à l’élitisme conservateur ». « En réalité, c’est l’enseignement du christianisme médiéval qui deviendrait optionnel en 5e. Pour autant, l’étude de la naissance du christianisme figurait déjà – et se maintient – au programme de 6e, écrit-elle. Par ailleurs, la religion et la culture chrétiennes sont présentes dans quantité d’autres items du programme : il est ainsi difficile de ne pas les évoquer au sujet de l’Occident médiéval, des pouvoirs du roi ou de l’Empire byzantin… Quant à l’étude de la naissance de l’islam, elle n’a rien de nouveau : elle était déjà obligatoire ! ».

Depuis la mi-mars, date de la présentation du projet, les attaques ne faiblissent pas. Le gouvernement a bien tenté de déminer la contestation, mais sans résultat pour le moment. La tension risque encore de monter d’un cran le mardi 19 mai. C’est le jour qu’ont choisi plusieurs syndicats représentant 80 % des enseignants du second degré pour se mettre en grève.

 

Partager :