C’est Ginette qui pousse Renald Luzier, dit Luz, à quitter Charlie Hebdo. Ginette, c’est le surnom qu’il a donné à la boule qui a trouvé domicile dans son ventre au lendemain de l’attentat du 7 janvier. C’est elle qui l’empêche de dormir et qui l’a poussé à écrire un livre au titre équivoque, Catharsis, publié ce mercredi. Il y revient sur les semaines et les mois qui ont suivi l’attaque des frères Kouachi dans les locaux du « journal irresponsable ».
Dans une interview publiée dans Libération, Luz explique : il n’arrive plus à s’intéresser à l’actualité du quotidien. C’est donc compliqué pour lui de continuer son travail de dessinateur de presse. D’autant plus qu’avec la mort de Charb, Cabu, Honoré et Tignous, la charge de travail est devenue bien plus importante. « Phagocyté par mille choses, le deuil, la colère, les médias », Luz ressent ainsi le besoin de se « reconstruire ». Une reconstruction qui aura lieu en septembre, avec le lancement de la nouvelle formule de l’hebdomadaire. Le départ de l’un des crayons les plus emblématiques de Charlie – il avait notamment dessiné la Une du « numéro des survivants » – n’a rien à voir avec les tensions qui règnent au sein du journal. C’est en tout cas ce que Luz affirme.
Une responsabilité trop grande
Depuis la grande marche du 11 janvier, le journal est devenu un symbole, ses salariés des héros. C’est un « fardeau », concède Eric Portheaux, le gestionnaire de Charlie Hebdo, tant cette responsabilité dont ils ne veulent pas est devenue grande, tant les tensions inhérentes à toute vie de rédaction se retrouvent exposées sur la place publique.
Dernier exemple en date, la convocation par la direction du journal de Zineb El Rhazoui en vue d’un licenciement s’est retrouvée dans la presse, avant que la direction ne fasse machine arrière. Une séquence qui intervient dans un contexte bien particulier. Fin mars, Zineb El Rhazoui et une quinzaine de salariés sur la vingtaine que compte le titre, ont publié une tribune dans le quotidien Le Monde. Leur texte réclamait une direction plus collégiale de Charlie Hebdo, notamment en vertu de l’identité du journal et sa philosophie, ainsi que par respect envers les nombreux donateurs qui ont envoyé de l’argent à la suite des attentats de janvier.
Ces millions d’euros sont en effet source de friction au sein du journal. Il est actuellement détenu par trois actionnaires : Riss, le directeur de la publication, Eric Portheaux, son gestionnaire, et la famille de Charb. Zineb El Rhazoui et les autres signataires de la tribune parue dans Le Monde (dont Luz) réclament la création d’une Scop, une société coopérative de production. Avec une telle organisation, tous les salariés deviendraient actionnaires à parts égales de la publication. Mais pour la direction, c'est un mode de fonctionnement infaisable et ingérable.
Explosion des ventes
La situation n’est cependant pas dans l’impasse. Les discussions sur ce point précis vont reprendre, mais pas avant septembre. En attendant, dès cet été, le journal va devenir une société solidaire de presse, une organisation qui permet de mettre de côté 70 % du chiffre d'affaires. Les actionnaires veulent même aller plus loin en garantissant que l'intégralité des revenus du journal reste dans ses caisses : une sorte de matelas de sécurité.
Depuis les attentats, les ventes de Charlie Hebdo ont explosé. Le dernier numéro a été écoulé à 170 000 exemplaires, le journal a rapporté 12 millions d'euros depuis le 7 janvier. Une somme qui sera donc mise de côté. En parallèle, 36 000 personnes lui ont versé des dons, ce qui représente un peu plus de 4,3 millions d'euros. Cette somme sera reversée en accord avec le choix des familles des victimes des attentats.