«Que du plaisir», Emmanuelle Bercot fait l’ouverture du Festival de Cannes

Avec son film « La Tête haute » qui sort ce mercredi 13 mai en même temps en salles en France, Emmanuelle Bercot est la première réalisatrice qui fait l’ouverture du plus grand festival de cinéma au monde. Son long métrage, projeté hors compétition, raconte le parcours éducatif d’un jeune délinquant, Malony, incarné par le jeune Rod Paradot. Catherine Deneuve y interprète un juge pour enfants. Entretien.

RFI : Faire l’ouverture du plus grand festival de cinéma du monde, est-ce un honneur ou une source d’angoisse ?

Emmanuelle Bercot : Non, ce n’est pas du tout une source d’angoisse. J’avoue que l’honneur qui est fait au film et à nous, a complètement pris le dessus. Et le fait de ne pas être en compétition, d’être mis à cette place un peu à part, soulage quand même pas mal de la pression et ça ne reste que du plaisir.

Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, disait que La Tête haute n’était pas un film d’ouverture habituel au sens où on a les codes du film « paillettes, bulles de Champagne » ?

[Rires] Effectivement, c’est difficile de faire moins « paillettes », moins glamour que ce film. Mais justement, je trouve que c’est ce choix très intriguant de la part du comité de sélection, de Thierry Frémeaux , qui attise aussi la curiosité. Je pense que c’est un message que veut faire passer aussi le festival cette année à travers ce choix-là. C’est encore plus honorant.

La Tête haute raconte l’itinéraire d’un garçon, Malony, que l’on suit de ses six à dix-sept ans et qu’une juge pour enfants et un éducateur tentent de sauver. Mais s'il n’est pas facile d’aider Malony, il est plutôt facile de l’aimer quand on voit votre film.

C’était toute la difficulté, effectivement, de choisir comme personnage principal un gamin qui doit paraître antipathique au début du film, et auquel on doit s’attacher malgré tout. Ça, c’est rendu possible aussi grâce à l’acteur qui l’incarne.

Rod Paradot, dont c’est le premier grand rôle à l’écran ?

C’est le premier grand rôle tout court. Il n’avait jamais été devant une caméra de sa vie. Mais c’était essentiel qu’on puisse effectivement s’attacher à ce personnage en dépit de sa violence, du caractère rugueux de sa personnalité qui pouvait être repoussant. Et surtout, ce film rend quand même hommage au travail qui est fait par les juges des enfants, par les éducateurs, par les associations autour de ces gamins-là qui ont une carence éducative. Je les considère comme des héros, je ne m’en cache pas, parce que c’est vrai que c’est dur. C’est sans arrêt trois pas en arrière, quatre pas en avant. Ça n’arrête pas, ces allers-retours entre le mieux et le moins bien, que vous et moi on baisserait les bras au bout de deux minutes et que, eux, ils tiennent le coup pendant des années, car souvent ils suivent les enfants pendant très longtemps.

Malony est donc un délinquant, mais il y a cette scène d’ouverture dans votre film La Tête haute, où il a six ans. On se rend compte que l'enfant est une victime avec une mère totalement dysfonctionnelle aimante. C’est peut-être un paradoxe : elle est aimante mais maltraitante psychologiquement, parce qu’elle dit que c’est « un bon à rien » ; et il y a cette juge jouée par Catherine Deneuve qui tente de le maintenir hors de l’eau...

L’écriture du scénario est le fruit d’une très longue enquête sur le terrain. J’ai constaté qu’une grande partie des délinquants qui sont suivis par les juges des enfants en pénal ont été avant des enfants en danger. Le rôle d’un juge des enfants consiste prioritairement à protéger les enfants en assistance éducative. Mais souvent, ces enfants qu’ils ont eu à protéger petits, on les retrouve délinquants à l’adolescence, tout simplement parce que les parents n’ont pas pu assumer leur rôle – même si ce n’est pas la seule raison. Je tenais déjà à faire exister dans le film cet aspect-là du métier de juge des enfants : c’est-à-dire s’occuper des enfants en danger dans leur famille. Ce n’est pas pour excuser le gamin quand il est adolescent, mais on sait bien que les nouveaux-nés ne naissent pas délinquants. C’est souvent une histoire familiale, sociale difficile aussi qui donne ce résultat.

Catherine Deneuve en juge pour enfants, c’était une évidence ?

Oui. Je n’avais qu’une hâte : retravailler avec elle. Elle incarne pour moi les deux pôles qui sont fondamentaux pour la fonction de juge des enfants. D'abord, l'autorité : Catherine a cette autorité très naturelle, elle ne force pas. Ensuite, c’est quelqu’un d’extrêmement maternel, extrêmement protecteur, extrêmement bienveillant. Je me disais que la coexistence de ces deux choses-là allait vraiment rendre ce personnage de juge très beau, tel que je le voulais. Et c’est le cas.

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