Christophe de Margerie, la mort d’un flibustier du pétrole

Son nom est lié depuis longtemps et maintenant pour toujours à Total. Christophe de Margerie a fait toute sa carrière dans le pétrole. Puissant patron français, son aura a pris les contours de toutes les dynasties pétrolières. De Moscou à Bagdad, de Riyad à Téhéran, on lui prêtait plus d’influence que bien des chefs d’Etat.

« Pas de quartier », la mort brutale de Christophe de Margerie à 63 ans ressemble à sa vie. Fils de grande famille, il n’a eu de cesse depuis quatre décennies de montrer qu’il était un homme libre de toute convention héritée de son milieu. Alors que chez les gens bien élevés on ne parle pas d’argent, lui n’en a que faire. Non seulement il en gagne, beaucoup, mais il vomit cette fausse pudeur en revendiquant haut et fort ce qu’il perçoit. Adepte de la transparence avant les autres patrons du CAC 40, il ne fait pas mystère de sa rémunération. Pour 2013, « Big Moustache », comme l’appellent affectueusement ses collaborateurs, revendique sans détour ses 3,5 millions d’euros annuels. 

L’Oriental

Ses origines lui permettaient de prétendre à une belle carrière dans le champagne ou le luxe, sa mère est une Taittinger, mais il ne suit pas la voie toute tracée. Diplôme en poche, pas celui d’une grande école d’ingénieurs qui plus est, il entre chez Total en faisant un stage d’été en 1974. Il y restera, grimpant un à un les échelons, sa faconde, son sens du contact prodigieux faisant sauter toutes les préventions de ceux qui ne jurent que par les X-Mines, l’élite de l’Ecole Polytechnique.
 

Quand en 1993, Christophe de Margerie se voit confier la responsabilité du Moyen-Orient chez Total, il y trouve un terrain d’action à sa dimension. Là encore sa personnalité fait la différence et rapidement, les émirs comme les cheikhs ne jurent que par lui et nombreux sont ceux qui le tutoient. Evidemment ces amitiés imposent que l’on ne soit pas trop regardant sur les régimes des rois du pétrole. « Je ne fais pas de politique », répète à l’envi à qui veut l’entendre Christophe de Margerie. Peut-être, mais selon ceux qui en font, il est nettement au-dessus de la mêlée quand il s’agit de comprendre les enjeux géopolitiques qui traversent le monde du pétrole.

Rien ne semble pouvoir freiner l’avancée de celui qu’on désigne désormais comme « L’Oriental ». Il engrange les succès qui se matérialisent à coup de milliards d’euros avec le Qatar, l’Iran… Son pragmatisme lui vaudra quelques démêlés judiciaires dans l’affaire « Pétrole contre nourriture » pour laquelle il sera relaxé en 2013 après huit ans d’instruction puis, il sera cité dans une affaire de corruption avec l’Iran dont le procès devait se dérouler bientôt en France…

« Go to hell »

La Birmanie était pour Christophe de Margerie le sujet qui pouvait le faire sortir de ses gonds. Alors qu’on lui reprochait de financer la junte militaire au pouvoir, il avait carrément envoyé au diable (Go to hell) ceux qui se permettaient de critiquer Total. Devant l’insistance des anti-Total, Jane Birkin en tête, il bottait en touche : « Dans quels pays démocratiques trouve-t-on du pétrole et du gaz ? », tonnait-il, avant de passer à autre chose.
 

Autre chose, cela pouvait aller jusqu’au plateau du Grand Journal de Canal + pour se retrouver, sans broncher, à côté d’une Miss Météo complètement nue, mais enduite de mazout… Une façon inattendue de souligner la pollution catastrophique provoquée par le naufrage de l’Erika et la responsabilité de Total. Ou encore, aller au bout de la nuit avec du très grand whisky, ou plus récemment de la vodka, et refaire ce monde qu’il connaît si bien jusqu’à plus soif. Ou très récemment, au Forum Nouveau Monde, avec son voisin de tribune Yossi Vardi président d’International Technologies, se prendre au jeu en se tenant mutuellement la moustache au grand amusement des participants…  

Nommé directeur général de Total en 2007 puis, PDG en 2010, reconduit en 2012, son mandat courait jusqu’en 2015. Christophe de Margerie aimait à dire qu’à 63 ans, une de ses nombreuses tâches à la tête de Total, consistait à se trouver un successeur et à le préparer. Son départ aussi soudain que prématuré de la première entreprise de l'Hexagone précipite cette succession. Cela ne s’improvise pas et déjà le géant pétrolier fait tout pour rassurer sur les capacités des dirigeants proches de Margerie, prêts à prendre la relève. La Bourse semble y croire, le titre Total a pris 2,69 % dans la journée. 

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