RFI : Ce prix consacre cette année les droits des enfants, met l’accent sur l’accès à l’éducation, à la scolarisation. Un combat qui est au cœur de l’institution que vous dirigez. J’imagine que vous ressentez beaucoup de fierté
Irina Bokova : Oui, vous avez raison. Pour nous, ce Nobel revêt un sens très particulier pour l’Unesco, parce que nous considérons que c’est le prix Nobel de l’éducation, pour la paix. C’est le prix Nobel aussi, du droit des filles à l’éducation. Et je dirais que c’est le prix Nobel de toutes celles et ceux qui s’engagent partout dans le monde, parfois dans des situations très difficiles et en danger, pour garantir les droits humains fondamentaux à l’éducation. Et je dirais que cette décision du comité Nobel c’est un appel à la mobilisation.
Vous les avez rencontrés personnellement, ces deux lauréats ? Vous avez travaillé avec eux?
Oui, je les connais très bien. Avec Malala, on s’est vues plusieurs fois, elle était avec nous à New York, il y a un an, quand nous avons fêté l’anniversaire de l’Initiative [mondiale pour l’éducation avant tout, lancée le 26 septembre 2012 par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon], et après lors de différentes conférences.
Kailash, lui, c’est un grand ami personnel de l’Unesco. Il était chez moi il y a quatre jours. Je l’ai félicité pour son action pour la campagne mondiale en faveur de l’éducation. Il dirige aussi la marche mondiale contre le travail des enfants. C’est très important aussi parce que les enfants doivent rester à l’école. C’est là, leur place.
Justement, quel tableau pouvez-vous nous dresser aujourd’hui de l’éducation des jeunes filles dans le monde ? C’est le combat de ces deux lauréats cette année !
Il y a des avancées dans ce domaine. Une plus grande conscience mondiale qui émerge. Beaucoup de pays ont fait des progrès concernant l’égalité des genres dans les écoles, la scolarisation des filles… Mais malgré tout, la majorité des 58 millions d’enfants qui ne sont pas scolarisés dans de nombreux pays, sont des filles. Et leur situation s’aggrave d’une manière dramatique parce que les filles quittent l’école. Elles sont mariées, ont des grossesses précoces… Elles ne sont pas considérées je dirais, par leurs familles, par leurs communautés, comme capables, ou même ayant le droit de continuer leur scolarité. C’est pourquoi nous menons un grand combat pour que les filles soient scolarisées. Parce que je crois que l’éducation des filles accélère la transformation sociale dans beaucoup de circonstances.
Cela donne aussi aux filles, les outils pour façonner le monde d’une autre manière. Nous savons par exemple que les femmes qui ont un niveau d’éducation, supérieur ou primaire, sont cinq fois plus susceptibles d’être informées sur la prévention du VIH Sida que les femmes analphabètes. Et je dirais aussi que l’impact est beaucoup plus large sur les différents aspects du développement de leurs communautés et de leurs sociétés.
C’est pourquoi je crois qu’aujourd’hui tout ce qui se passe dans le monde en matière de sensibilisation dans ce domaine, c’est aussi le résultat de ce prix (…) La conscience mondiale, c’est de ne pas attaquer les écoles, de donner le droit aux filles d’aller aux écoles… Je pense aux situations de conflits, comme en Libye, en Irak...
Justement vous avez lancé le 2 octobre un appel en faveur de la protection des écoles qui se trouvent dans les zones de conflits. C’est un appel qui s’inscrit largement dans celui mené par les lauréats du Nobel de la paix cette année?
Absolument. Vous avez raison parce que nous considérons que les attaques contre les écoles sont des attaques contre la paix ! Malheureusement, nous voyons toujours que seulement 2 % de tout le financement humanitaire sont consacrés à l’éducation dans de tels cas. D’un côté, on a besoin que les familles réfugiées bénéficient des programmes d’éducation, mais de l’autre, nous voyons que les écoles sont des cibles d’attaques délibérées.
Nous avons lancé aussi à New York récemment avec l’Organisation mondiale de la santé, des lignes directives, des appels pour que les hôpitaux et les écoles soient écartés des attaques délibérées dans les zones de conflits. Aujourd’hui, nous parlons aussi beaucoup de développement durable. Nous considérons que les filles doivent être au cœur de ce débat, parce que leur éducation ne permet pas seulement de transformer leur vie, mais elle transforme aussi la vie des communautés, des peuples. Nous savons que cela sauve aussi des vies. Un enfant dont la mère sait lire a 50 % de chances supplémentaires de survivre après l’âge de cinq ans.