Ils sont Vénézueliens, Mexicains, Ivoiriens, Burkinabè, Israéliens, Palestiniens. Ils dessinent sur la religion, la guerre, la politique, la condition des femmes. Avec humour et talent, et parfois en prenant de gros risques, ils se battent pour défendre la liberté d’expression dans des pays où parfois, l’on nait avec la peur au ventre. En 2006, Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU et prix Nobel de la paix, grand admirateur du travail de Plantu, confie au caricaturiste du quotidien Le Monde la charge d’organiser une conférence intitulée « Désaprendre l’intolérance ». C'est l'époque de l'affaire des caricatures de Mahomet, publiées dans un premier temps dans la presse danoise, puis relayées dans la presse internationale. Le monde musulman s'embrase. L’association Cartooning for peace naîtra de cette volonté de se servir du dessin comme vecteur de dialogue autour de la liberté d'expression. Cartooning for peace regroupe désormais une centaine de dessinateurs du monde entier. L’association médiatise leur travail et les protège aussi. Le film de Stéphanie Valloato, Caricaturistes, fantassins de la démocratie, suit le quotidien de 12 de ces héros de l’ombre qui ont l’outrecuidance de rêver en dessins d’un monde meilleur ! Et leurs illustrations disent tellement bien l’absurdité de la guerre.
Des dessinateurs comme des baromètres de démocratie
Souvent menacés, parfois violentés ou tués, les dessinateurs de presse racontent le monde avec humour : une arme extraordinaire pour dénoncer les absurdités des conflits, la folie des hommes et leurs intolérances. La France est l'un des pays qui a la plus grande tradition en matière de caricature. Au XIXe siècle, Honoré Daumier commentaient ainsi la vie sociale et politique française. Et si Plantu se retrouve régulièrement devant les tribunaux avec des plaintes d’associations religieuses, il n’en reste pas moins libre de s’exprimer chaque jour dans le journal Le Monde.
Ce n’est malheureusement pas le cas de tous les personnages - bien réels - du film de Stéphanie Valloato. Mikhail Zlatkovsky en Russie, même après la perestroika, a dû travailler la nuit comme chauffeur de taxi pour gagner sa vie. Aucun journal ne publiait ses dessins, alors qu’on lui avait assuré que ce serait désormais possible. Rayma Suprani, caricaturiste au Venezuela, perpétuellement menacée, a été récemment débarquée de son journal El Universal. Ce dernier a récemment été racheté par des proches du pouvoir. Le Syrien Ali Farzat, tabassé par le régime de Bachar el-Assad en 2011, fut quant à lui contraint de s’exiler pour des dessins qui n’ont pas plu. Signe que le dessinateur a du pouvoir et qu’il dérange.
Et si le rire était une arme contre la guerre ?
Pas simple de dessiner les tensions de la société dans laquelle on vit. Encore plus en temps de guerre... Et pourtant, tel un correspondant de guerre, le caricaturiste couvre l'évènement. Il donne son point de vue. Zohoré Lassane est directeur de du journal ivoirien Gbich !. Durant la crise post-électorale de 2011, il n'imagine pas ne pas témoigner. « On se débrouillait tant bien que mal, malgré les menaces et les risques. Il m'arrivait de raccompagner des collaborateurs chez eux, sous les coups de feu. » Et la force du dessin, dans une population où le taux d'analphabétisme avoisine les 60%, est énorme. Zohoré estime avoir joué un rôle d'agent de la paix à cette époque. Une période de travail dont il est particulièrement fier. Michel Kichka, par le dessin humoristique, a tenté cet été d’expliquer ce que c'est de vivre en temps de guerre. Une situation complexe, vécue douloureusement par les Israéliens. En désaccord avec la politique de son propre gouvernement, Michel Kichka raconte. Il tâche d’y mettre un peu de dérision, de légèreté, malgré l’inquiétude pour ses proches et pour le peuple gazaoui. Ce passionné avoue n’avoir pas travaillé, « de gaieté de coeur mais avec un sentiment d’urgence et de profonde préoccupation ».
L’humour, un langage universel ... ou presque
«Ça n’existe pas un dessin qui ne blesse personne», explique Michel Kichka dans le film de Stéphanie Valloato. Car si «les dessins peuvent être des avertissements» comme le dit le dessinateur américain Jeff Danzinger, ils sont des avertissements souriants mais parfois très grinçants. Michel Kichka, dessinateur israélien explique : « Par l’humour, on peut faire passer beaucoup plus de messages qu’en scandant des slogans. Mais d’un autre côté, il ne faut pas prendre les dessins au premier degré. Il faut avoir la capacité de dépasser ce premier degré, de ce que l’image présente dans l’immédiat. Et de comprendre ce qu’il y a derrière cette image. Puis le lecteur s’approprie le dessin et l’interprète à sa propre manière. Et le dessin ne vous appartient déjà plus. Il appartient à chaque lecteur en particulier avec sa culture, sa manière de comprendre, ses références. Et il faut faire avec ! » Pas simple alors de ne pas jeter de l’huile sur le feu, de se moquer autant des uns que des autres. Et c’est pourtant ce que ces caricaturistes, fantassins de la démocratie réussissent à faire avec gravité, émotion, et talent !
→projection du film Caricaturistes, fantassins de la démocratie à Bayeux au cinéma le Méliès, le 14 octobre à 20h30. La projection sera suivie d’une rencontre avec Radu Mihaileanu (producteur) et Stéphanie Valloatto (réalisatrice)
→ Quelle connerie la guerre, exposition au Forum des Halles, jusqu’au 2 novembre 2014
→ Le site de l'association Cartooning for peace