Le nouveau dispositif du ministère français de l'Education consiste à former les enseignants. Concrètement, tous les futurs professeurs, soit environ 25 000 chaque année, suivront lors de leur cursus, un module consacré à l'égalité entre les sexes. Pour les enseignants déjà en exercice, le module sera intégré à leur formation continue : 330 000 enseignants du 1er degré sont potentiellement visés. Les chefs d'établissements et les inspecteurs seront également formés. Le but, c'est de lutter contre les préjugés et les déterminismes. En finir avec les idées reçues, comme dire que les garçons sont moins doués en lecture et les filles moins douées en mathématique par exemple.
Pour aider les professeurs, une mallette pédagogique sera disponible sur Internet. Elle est toujours en cours d'élaboration, mais on sait déjà qu'elle contiendra des idées d'activités, des livres, des débats organisés. Bref, tous les outils nécessaires pour aborder le sujet de l'égalité garçons-filles. En fait, il n'y aura pas de matière «égalité» à l'école, mais lors de cours d'histoire-géographie, sport, français ou autres, les enseignants pourront consacrer des moments à ce sujet en relation avec leur matière.
Exit les «ABCD de l'égalité», mais pour la forme
Ce plan va remplacer les «ABCD de l'égalité» qui avaient fait polémique, une expérimentation menée depuis le mois de novembre dans 600 classes volontaires pour déconstruire les stéréotypes filles-garçons, c'est à dire expliquer qu'une fille peut devenir garagiste et qu'un garçon infirmier par exemple. Ces «ABCD» devaient être généralisés à la rentrée après évaluation. Mais des mouvements d'extrême droite et des opposants au mariage homosexuel s'étaient élevés contre ces modules. Ils avaient appelé à boycotter l'école an accusant le dispositif de nier les différences sexuelles au nom d'une prétendue «théorie du genre».
La polémique a donné lieu à toutes sortes de rumeurs infondées sur des garçons obligés de porter des robes et des cours de masturbation en maternelle. Le ministre de l'Education nationale, Benoit Hamon, assure que « l'école ne met pas en cause l'identité des enfants ». « Le fait que filles et garçons soient différents ne remet pas en cause le fait qu'ils soient égaux », dit-il. Benoît Hamon le promet, « je ne me laisserai pas intimider ». Reste que pour éteindre l'incendie, il abandonne les « ABCD de l'égalité ». Dans la presse, ce matin, les éditorialistes n'ont pas de mots assez durs pour condamner ce retrait prévu des ABCD de l'égalité, dénonçant une énième « reculade» du gouvernement devant je cite: « une poignée d'illuminés réactionnaires ». Le grand souci de Benoît Hamon, c'est d'apaiser. Il juge l'ambiance trop nerveuse.
Les militants de gauche fatigués des reculades du gouvernement
Mais à trop vouloir apaiser l’opposition, Benoît Hamon commence à s’attirer les foudres des militants de gauche. A peine arrivé aux commandes du ministère de l'Education nationale en avril dernier, il publie d'ailleurs un décret pour assouplir la réforme des rythmes scolaires, très critiquée par l'opposition. Le ministre assure en sauver l'essentiel, mais déjà les organisations en faveur de la réforme l'accusent de rétropédalage.
Avec l'abandon des ABCD de l'égalité, c'est un nouveau symbole du renoncement. Et pour l'éditorialiste du journal de gauche Libération, « avec le PS: les grandes réformes dans l'éducation, c'est fini ». Certaines associations se disent aussi inquiètes. Comme Osez le féminisme, qui affiche sa consternation, et dit « qu'il s'agit, au prétexte d'apaiser la situation, de donner satisfaction à des groupuscules réactionnaires et conservateurs qui ont fait du maintien d'une société traditionnelle, hétéronormée et patriarcale leur cheval de bataille ».
Un fiasco en terme de communication
Officiellement, il ne s'agit pas d'une reculade, mais d'un changement d'étiquette. L'Inspection générale de l'Education, dans son rapport d'évaluation des «ABCD de l'égalité», écrit qu'il n'est pas « proposé de renoncer au projet, mais de l'amplifier ». Le rapport explique que l'expérimentation a montré son utilité. Les enseignants volontaires pour tester le dispositif se sont notamment rendu compte de pratiques véhiculées inconsciemment, comme le fait d'interroger plus souvent les garçons que les filles.
Mais, ce rapport «bilan des ABCD» met aussi en avant les lacunes du projet, notamment en termes de communication. Et Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des droits des femmes, souligne ce matin que l'une des choses les plus importantes c'est de faire preuve de plus de pédagogie. « Les parents doivent comprendre de quoi il s'agit », estime la ministre. Donc maintenant, pour le gouvernement, il s'agit de ne pas refaire les mêmes erreurs. Pour éviter les malentendus sur le nouveau plan d'action pour l'égalité filles-garçons, le gouvernement « veut que les établissements scolaires inscrivent la question de l'égalité dans leur projet éducatif. Ce qui permettra de la partager avec les parents, en conseil d'école ou d'établissement ».
Pour Najat Vallaud-Belkacem, il faut distinguer « les rumeurs insensées et les manipulations », « des interrogations légitimes sur ce que l'école doit apprendre aux enfants ». Elle réaffirme que l'école a pour rôle « de lutter contre les préjugés et les déterminismes ». Pour la ministre, on a beaucoup trop entendu les détracteurs des ABCD alors que d'après un sondage CSA, 88% des Français estiment que l'éducation doit permettre de faire progresser la société en matière d'égalité entre les sexes.