Ses contempteurs y voient un sous-marin de la « théorie du genre », autrement dit, un programme diabolique dans lequel filles et garçons seraient interchangeables. Les ABCD de l’égalité ne sont pourtant qu’un programme destiné aux 5-12 ans pour lutter contre les stéréotypes fille-garçon. Testé depuis novembre 2013 dans 600 classes françaises de la grande section maternelle au CM2, il sera abandonné, « du moins dans sa forme actuelle » tente de rassurer le gouvernement.
Cette décision intervient suite à la remise d’un rapport d’évaluation commandé après que plusieurs manifestations hostiles aux ABCD de l’égalité ont perturbé la scolarité. Benoît Hamon, le ministre de l’Education nationale et sa collègue des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, devraient mettre fin aux ABCD tels qu'ils sont expérimentés depuis quelques mois, explique-t-on dans l’entourage de ces ministères.
Un programme « très ambitieux »
Mais la même source assure que « l’éducation à l’égalité fille-garçon est prévue » et « va se faire ». Ce que Najat Vallaud-Belkacem a confirmé ce dimanche sur France 3 en annonçant que les ABCD de l’égalité seraient remplacés par un programme « très ambitieux » généralisé à tous les élèves. Autrement dit, le nom disparaîtrait, mais le contenu demeurerait d’un programme qui serait dorénavant dispensé partout…
A l’origine, la phase expérimentale des ABCD de l’égalité devait déboucher sur la généralisation du dispositif à la rentrée de 2014. Mais, le bel élan a été stoppé net par de multiples actions hostiles lancées par Farida Belghoul qui appelaient les parents à retirer leurs enfants de l’école en signe de protestation.
Farida Belghoul, une ancienne figure de la marche des Beurs de 1984, aujourd’hui proche de l’extrême droite, a vu son appel faire florès auprès des musulmans et catholiques conservateurs. Rejoints par les opposants au mariage pour tous, tout ce petit monde qui a le vent en poupe, n’a eu de cesse de fustiger une invasion de la « théorie du genre » jusque dans nos maternelles.
Les plus folles rumeurs, on parle de cours d'éducation sexuelle dès la maternelle, incitation à la masturbation et apologie de l'homosexualité… aboutissent à un absentéisme organisé dans une centaine d’établissements, un mouvement qui ne peut pas passer inaperçu aux yeux des autorités.
Scepticisme et dépit sur les réseaux sociaux
L’épisode du « Tous à poil » du nom d’un ouvrage destiné aux enfants pour « dédramatiser la nudité » et qui figure sur une liste du CNDP intitulée « Pour bousculer les stéréotypes fille-garçon », fait encore monter d’un cran toute cette agitation. C’est Jean-François Copé, à l’époque président de l’UMP qui s’y colle. Album en mains, il le feuillette, avec l’air dégoûté qui convient : « A poil le bébé, à poil la baby-sitter, à poil la maîtresse », égrène-t-il, « voyez, c'est bien pour l'autorité des professeurs » ajoute encore celui qui ainsi fera ainsi grimper en flèche la vente du livre jusqu'à se retrouver en tête chez Amazon.com. Jusque-là, l'ouvrage ne s'était vendu qu'à centaine d’exemplaires.
Du côté des enseignants qui ont participé au programme des ABCD pour l’égalité, c’est la consternation. Le recul des ministères porteurs du projet est vécu comme « une décision qui donne raison à ceux qui disent que c’est dangereux ». Même indignation chez les militants d’Osez le féminisme pour qui « il s'agit, au prétexte d'apaiser la situation, de donner satisfaction à des groupuscules réactionnaires et conservateurs qui ont fait du maintien d'une société traditionnelle, hétéronormée et patriarcale leur cheval de bataille ».
La présidente du Front national, Marine Le Pen, s’est réjouie ce dimanche de l’abandon annoncé des ABCD pour l’égalité. Quant à Farida Belghoul, si elle se félicitait pour la même raison de la « convergence islamo-catholique », elle risque de déchanter après la déclaration de la ministre des Droits des femmes qui affirme vouloir poursuivre et élargir l’éducation à l’égalité. Sur les réseaux sociaux, le scepticisme le dispute au dépit qu’on soit d’un bord ou de l’autre. La preuve que les belles paroles ne sauraient suffire. Benoît Hamon et Najat Vallaud-Belkacem sont très attendus ce lundi 30 juin où ils doivent préciser leur projet de remplacement.