Le désaccord entre le Conseil français du culte musulman (CFCM) et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) est-il représentatif des courants de l’Islam qui s’opposent en France ?
Il faut bien voir que l’organisation de l’islam en France a toujours été le terrain de rivalités entre grandes fédérations islamiques qui ne sont pas toujours d’accord sur la méthode à employer pour fixer la date du ramadan. Cette année, le désaccord qui oppose l’UOIF à la mosquée de Paris reflète effectivement une de ces rivalités traditionnelles. L’UOIF est partisane du calcul astronomique, la grande mosquée de l’observation.
Sur quoi se fondent les différences entre le Conseil français du culte musulman et l’UOIF ?
Il faut bien voir que le conflit de cette année doit aussi être mis en perspective avec celui de l’année dernière où le CFCM avait adopté le calcul avant que la grande mosquée fasse un revirement de dernière minute et que le CFCM la suive, mais pas les Turcs. Ce qui avait engendré une pagaille. Cette année l’UOIF a décidé de maintenir le calcul astronomique.
Ces deux organisations représentent-elles réellement les musulmans de France, aujourd’hui ?
Non. Si ces désaccords autour du ramadan reflètent les divisions qui se jouent à un niveau institutionnel, elles ne reflètent pas la façon dont les musulmans aujourd’hui vivent leur religion. L’islam en France, comme pour les autres religions, rencontre ce qu’on appelle une « dynamique d’individualisation du croire », c'est-à-dire que chacun vit et construit son rapport à la religion de façon personnelle et sans se référer au discours de ces grandes fédérations.
Est-ce plus difficile aujourd’hui d’être musulman en France qu’il y a dix ou vingt ans ?
Sans noircir le tableau, mais pour être honnête, oui. Cela paraît évident. Les sondages montrent que l’islam continue à être perçu comme une religion dangereuse, c’est évident. Si l’on reste très factuel et que l’on observe l’augmentation des agressions de femmes voilées ou encore l’augmentation des profanations des lieux de cultes.
Comment cela s’explique-t-il : à cause de la stigmatisation, de la montée de la radicalisation de certains musulmans ?
Je ne crois pas que ce soit réductible aux phénomènes de radicalisation, qui sont réels. On le voit avec la Syrie. En réalité, c’est plutôt une perception de l’islam qui est engagée plus globalement, qui se construit depuis quelques années et qui aujourd’hui trouve une espèce de nouvel élan avec la formation d’un néopopulisme qui se déploie à l’échelle européenne.
Face à la montée d’une certaine radicalisation, est-ce que ces organisations représentatives des musulmans de France ont vraiment un poids et une parole qui est écoutée ?
Ces organisations ont peut-être moins de poids que ce qui se joue au niveau local, à l’intérieur des mosquées. Depuis plusieurs années, les responsables religieux se mobilisent à l’intérieur des mosquées pour condamner l’islam radical. Avec ce qui se passe aujourd’hui en Syrie et dans le contexte de l’affaire Nemmouche, leur mobilisation était encore plus nette. On a vu, par exemple, la grande mosquée de Lyon organiser une journée de prévention contre l’islam radical. Elle a été suivie par la mosquée d’Addawa, par la mosquée de Mulhouse. Le Rassemblement des musulmans de France a indiqué également envisager une initiative dans cette direction en septembre. Il y a donc une véritable mobilisation.
Le message est-il entendu ?
A l’intérieur des mosquées, cette parole est entendue de toute évidence, à l’extérieur des mosquées, peut-être un peu moins. Il est toujours frappant de constater qu’il y a un décalage très net entre cet investissement des responsables religieux qui est très clair, sans ambiguïté, et le fait qu’on rappelle régulièrement dans les médias notamment, qu’ils ne jouent pas suffisamment le jeu de la lutte contre les processus de radicalisation.
Est-ce qu’observer le jeûne est une revendication identitaire pour les jeunes de banlieues notamment ?
Le jeûne du mois de ramadan est une pratique collective donc sociale. Il garde un caractère identitaire mais qui n’y est pas réductible c'est-à-dire que c’est aussi des festivités familiales, une façon de se retrouver.
Les médias donnent toujours une image des musulmans croyants en France, tout du moins, qu’en est-il des autres ?
Quand on parle d’islam, on a tendance à associer les musulmans à des gens très pratiquants. C’est faux. Il y a parmi les personnes qui se déclarent musulmanes, deux tiers qui sont croyants sans être pratiquants. Une minorité infime, 5% peut-être, sont pratiquants réguliers mais il y a aussi 3% des personnes issues de famille musulmane qui se déclarent sans religion.
Au quotidien, comment se côtoient ces deux franges ?
Parler de deux franges est réducteur. Le phénomène est pluriel. Parmi les gens qui sont croyants non pratiquant, pratiquants, qui se déclarent sans religion, il y a encore des façons très diverses de vivre son rapport à l’islam et ça se passe plutôt bien. On pourra toujours opposer les cas de conflits ponctuels ça et là mais globalement, ça se passe bien.