RFI : Didier Maus, avant d’entrer dans le vif du sujet, voudriez-vous nous rappeler quelles sont les compétences des régions par rapport aux autres collectivités territoriales. Parce qu’on parle beaucoup du millefeuille territorial à la française, mais quand on parle des régions de quoi parle-t-on ?
Didier Maus : Les régions sont les entités les plus récentes dans le paysage territorial français. Le réseau, géographiquement, a été défini dans les années 50 et puis elles ont évolué jusqu’à des régions de plein exercice telles qu’on les a aujourd’hui. Ce sont avant tout des régions d’état-major, compétentes en matière d’emploi, de formation professionnelle, de transport… Ce sont véritablement les socles de leurs compétences, plus les lycées qu’il ne faut pas oublier que l’Etat leur a transférés alors qu’il a transféré les collèges aux départements. C’est-à-dire que ce sont des administrations, des collectivités d’invention, de dynamisme. Ce ne sont pas, jusqu’à présent, des collectivités de gestion du quotidien.
Est-ce qu’avec cette nouvelle carte de France des régions qui a été dévoilée hier, la décentralisation à la française prend un nouveau tournant ?
Elle prend un nouveau tournant géographique. Elle prendra auss,i je pense, un nouveau tournant en terme de compétences puisque le président de la République a indiqué qu’il voulait que les régions fassent plus de choses. Mais en même temps, on est parfaitement dans la ligne de ce qui a été fait en 1982 et consacré dans la Constitution en 2003. Ce n’est pas un bouleversement, c’est une étape de l’évolution.
On dit que c’est pour faire des économies, est-ce que c’est vrai ? Lorsque le secrétaire d'Etat à la Réforme territoriale, André Vallini parle de 10 milliards d’économie sur cinq ou dix ans, est-ce que c’est un chiffre qui vous paraît plausible ?
Personnellement, j’attends de lire une démonstration possible parce que je ne vois pas exactement où sont les économies. On nous dit, ce qui est vrai, qu’il peut y avoir quelques élus de moins, -même s’il y en a 30 ou 40% de moins, cela fait quelques économies-, mais ce n’est pas l’essentiel. C’est infinitésimal dans le budget des régions ou des autres collectivités. Ce qui est vrai, c’est qu’il y a des charges pour les collectivités, des charges de gestion et d’investissement. Il faut toujours rappeler qu’actuellement en France, 75% de l’investissement public, c’est-à-dire fait par les collectivités publiques, est fait par les collectivités territoriales et 25% seulement par l’Etat. Alors est-ce que l’on va faire des économies sur les investissements, c’est à dire aussi bien sur les infrastructures ferroviaires, portuaires, fluviales, que les collèges, les lycées ou les stades ? Cela m’étonnerait.
Quand on redécoupe des entités administratives, il y a forcément un aspect politique derrière. Quel est le dessein du chef de l’Etat dans ce que vous avez vu se dévoiler hier dans cette carte de France ?
La carte de France est un peu originale, il y a des liaisons évidentes. Cela fait cinquante ans qu’on dit qu’il faut réunifier les deux Normandies mais est-ce qu’on le fait au profit de Rouen ou au profit de Caen ? Par contre, je suis un peu étonné quand je vois une immense région qui comprendrait le Centre, le Poitou-Charentes et le Limousin et qui irait des confins de l’Île-de-France jusqu’aux confins de Bordeaux. Là, je crois qu’il y a un débat.
Alors politiquement, c’est très difficile à dire. Actuellement, vingt-et-une des régions sur les vingt-deux métropolitaines sont dirigées par des présidents de gauche. Si on projette les résultats municipaux et européens récents, il est évident que la gauche perd un certain nombre de régions. Mais moi, je ne sais pas anticiper sur les résultats électoraux.
Donc cela se serait pour la visée électoraliste si l’on peut dire, et après dans la logique interne. Vous en parliez avec la Normandie où la question est de savoir si Rouen ou Caen devrait être la ville motrice de la région. Est-ce que dans les autres régions, telles qu’elles ont été dessinées, on voit apparaître une logique ? Vous avez émis des réserves sur la nouvelle région du Centre, est-ce que la Bretagne reste une région isolée ?
Oui la Bretagne reste isolée. Ce qui est intéressant, c’est que le projet révélé hier fusionne des régions, il ne redécoupe pas. Il y a des cas où d’autres bons esprits disent « il faut enlever un département de telle région et le mettre dans telle autre ». Je pense à la région Picardie, par exemple, qui est une région de liaison entre l’Île-de-France et le Nord, certains disent qu’il faudrait qu’un département soit rattaché à la Champagne-Ardenne, un autre à l’Île-de-France et un troisième au Nord-Pas-de-Calais. Est-ce qu’on peut aller plus loin dans ce découpage ? C’est, évidemment, manier le ciseau avec difficulté et donc pour l’instant, le projet dit qu’on garde en réalité les régions dans leurs limites aujourd’hui et on verra demain. C’est typique en Bretagne avec la Loire-Atlantique.
Vous, Claude Gewerc, vous présidez aujourd’hui la région Picardie qui va fusionner avec la Champagne-Ardenne. Ce n’est pas vraiment le fiancé que la Picardie attendait ?
Claude Gewerc : Complètement, ce n’est pas la tradition qui existe en Picardie. On dit toujours que nous sommes cousins germains avec les chtis, donc avec le Nord-Pas-de-Calais. Des liens très forts existent avec la Haute-Normandie, des liens existent aussi avec nos amis de Champagne-Ardenne mais les retours que j’ai, c’est que les Champardennais se sentent plutôt à l’Est et non pas glisser vers l’Ouest. Et nous, on a une position centrale, c’est-à-dire qu’on a des frontières avec la Haute-Normandie, avec le Nord-Pas-de-Calais, avec la Champagne-Ardenne, avec l’Île-de-France. Donc j’ai eu le sentiment qu’on a été une valeur d’ajustement et non pas réellement choisi, comme le dit mon ami Bruno Leroux [président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, député de Seine Saint-Denis, par rapport à quelque chose de nouveau et de créatif.
Pensez-vous qu’il est souhaitable que les présidents de région qui n’ont pas vraiment obtenu satisfaction,-je pense en particulier à votre confrère du Languedoc-Roussillon, Christian Bourquin, qui lui est en colère-, se retrouvent pour en discuter ?
Je pense qu’il faut qu’on aille sur ce que représente cette réforme. Cette réforme est courageuse, intelligente. Elle donne davantage de pouvoirs aux régions. J’entendai tout à l'heure Bruno Leroux en parler, ce n’est pas la taille qui est importante puisque la taille des régions françaises était déjà dans la moyenne européenne. Ce n’est pas la population qui est importante non plus. Nous étions là aussi dans des strates intéressantes ; c’est le pouvoir de nos régions d’agir, d’agir sur le quotidien des gens, c’est ça qui nous manquait. Et donc là, on parle de donner davantage de compétences et peut-être davantage de moyens. Je rappelle que la région, c’est celle [des entités administratives] qui a le moins d’indépendance fiscale aujourd’hui. On ne lève plus d’impôts, donc on ne peut pas augmenter nos recettes et on dépend de ce que l’Etat nous donne. Donc il faut que les régions deviennent des acteurs plus puissants sur les territoires. Là nous aurons des régions à la dimension européenne : c’est pas le nombre de kilomètres carré qui compte, c’est « qu’est-ce qu’on peut faire et ne pas faire ».
On l’a bien compris, vous n’êtes pas contre la réforme mais contre son application?
La réforme est intelligente. La carte ne peut pas être faite par des géographes qui décident pour les gens. La carte doit être un des atouts qui font que les gens s’en saisissent et que ça devient leur sujet, que tout d’un coup ils se sentent appartenir à quelque chose, qu’ils aient envie de créer quelque chose. Moi quand j’entends un certain nombre d’habitants de Champagne-Ardenne qui me disent « mais nous on a rien à faire avec les Picards, notre destin est à l’Est ». Si on continue comme cela, on va nous créer des lieux de coopération qui seront vides !
Propos recueillis par Caroline Paré et Juliette Rengeval