Calais: «Les migrants essaieront de revenir pour passer en Angleterre»

Plusieurs centaines de migrants ont été évacués, mercredi 28 mai, de trois camps à Calais. Des centaines d’hommes - souvent des Syriens, des Afghans - qui souhaitent rejoindre la côte anglaise. Une opération annoncée la semaine dernière par le préfet qui a invoqué un impératif de santé publique face à une épidémie de gale, et de sécurité aussi, face à des implantations toujours plus importantes. Entretien avec Jean-François Corty, directeur des Missions France de Médecins du monde.

RFI : Où sont passées ce jeudi 29 mai ces centaines de migrants ?

Jean-François Corty : Pour l’instant, ces migrants sont toujours pour la plupart situés sur les lieux de distribution habituels de nourriture, c’est-à-dire à proximité des terrains qui ont été détruits et nous attendons de voir comment la situation va évoluer. Ça reste assez flou, mais ce qui est clair, c’est que la préfecture a annoncé hier qu’il n’y aurait pas d’arrestations pendant un ou deux jours, et ensuite on ne sait pas ce qui va se passer. Il faut vraiment qu’on comprenne la situation avec une augmentation des pressions sur ces migrants depuis un mois et une augmentation du nombre aussi, notamment issue de l’arrivée de Syriens et d’Erythréens pour des raisons qu’on peut imaginer de conflits dans leur pays d’origine ; et puis une épidémie de gale aussi qui s’est développée depuis trois semaines, qui touche près de 100, 150 personnes et qui nécessite des soins, et qui témoigne des difficultés et de la grande précarité dans lesquelles ces personnes vivent. Il n'y a pas d’accès à l’eau, à l’hygiène notamment, ce qui fait que ces maladies peuvent se développer. Et puis on observe une mortalité assez importante, c’est plus de 7 jeunes migrants qui sont morts depuis le début de l’année, par accident en essayant de monter dans les camions pour rejoindre l’Angleterre par ferry. Donc on voit bien qu’il y a une pression énorme et que ces jeunes migrants essaient de passer à tout prix.

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Ce qui se passe, c’est que la préfecture a annoncé la semaine dernière une volonté à la fois de traiter la gale et en même temps d’expulser. Donc dans le même temps, ils ont fait l’annonce d’un processus thérapeutique et en même temps une dynamique d’expulsion. De notre point de vue, Médecins du Monde et les autres associations, nous avons dénoncé ce discours puisque de fait, nous savons que ça va mettre en échec la démarche médicale. On sait que dans un contexte d’expulsion, les gens ont peur et ne vont donc pas venir se faire soigner. Certains seront partis avant le traitement. On sait que deux à trois jours après le début d’une prise en charge, il faut renouveler la prise en charge pour au moins soigner ceux qui ne sont pas venus la première fois. On a bien compris lors de cette annonce que le souci majeur des autorités était d’expulser et de faire en sorte qu’on ne voit plus ces migrants et que la question médicale était secondaire. C’est une forme de parodie et de simulacre de prise en charge médicale. La situation est connue depuis longtemps. Cela fait des années, même avant le gouvernement actuel, que l’on dénonce le manque de prise en charge, au moins d’hébergement ou de création de conditions pour que ces migrants ne soient plus dans des logiques de survie. Ces personnes vivent dehors, à la rue, dans des conditions que vous pouvez imaginer, difficiles. La plupart essaient de passer en Angleterre et rien ne leur est proposé autrement qu’une forme de harcèlement qui consiste à leur faire comprendre qu'ils ne sont pas bienvenus ici, chez nous, on détruit leur lieu de vie.

Pourquoi, mercredi - c’est ce que l'on a entendu du côté de la préfecture - un nombre très limité de ces migrants acceptent l’hébergement d’urgence auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ?

Parce que d’abord il y avait très peu de personnes de l’OFII hier. On en a recensé environ 4 ou 5 pour 400 à 500 personnes qui sont là dans des situations de grande pression. Vous pouvez imaginer que c’est difficile de pouvoir traiter les dossiers qui sont souvent compliqués comme ça, à l’arraché, sous la pluie, alors qu’il y a des CRS qui sont en train d’organiser la destruction des campements. Ce ne sont pas des conditions pour ouvrir des droits corrects. On sait que les hébergements d’urgence proposés à certains, notamment aux mineurs isolés ou aux demandeurs d’asile, sont des propositions qui sont assez brèves. Et pour les autres, en général, on les met à l’abri pendant un ou deux jours, puis on les relâche. Certains n’ont pas voulu aller à l'OFII, tout simplement parce qu’ils ont peur d’être arrêtés pendant ce temps-là. Donc il y a un véritable climat de défiance et on peut le comprendre. Puis certains vont être emmenés dans différents centres de rétention administrative à distance de Calais et ils vont être libérés dans la nature, puis ils vont essayer de revenir pour passer en Angleterre parce que c’est leur objectif. Donc ça va leur faire perdre du temps et de l’énergie dans leur démarche de migration.

A chaque fois, c’est la même méthode. On détruit les camps, les gens se dispersent. Mais quelle est la solution ?

La solution est à deux niveaux. Le premier c’est d’assumer qu’il y a de fait des gens chez nous, et dès lors qu’ils sont chez nous, il faut les traiter comme des êtres humains et pas comme des animaux en leur permettant au moins d’être protégés, d’avoir un minimum d’accès aux droits, aux soins, pouvoir se laver lorsque c’est nécessaire. Ça, c’est la gestion de l’urgence, accepter qu’ils sont là. Puis une approche plus globale. On voit bien une faillite de l’Europe en matière de questions de gestion migratoire, avec l’Angleterre aussi, à intégrer dans une réflexion où l’on essaie de faire en sorte que la question migratoire trouve des réponses qui soient plus humaines. Pour l’instant, on a une faillite en matière de réponses objectives sur ces besoins.

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