RFI : Ce rassemblement est réputé par sa festivité. Plusieurs dizaines de milliers de personnes y viennent chaque jour, souvent en famille. On mange, on achète des vêtements. On achète des Corans également. Cette dimension de fête, de vivre ensemble dans la religion, est-elle au rendez-vous cette année au Bourget ?
Amar Lasfar : Vous avez tout résumé, c’est ce qui se vit pendant les quatre jours chaque année ici au Bourget depuis 1988. Quelque cinq hectares et demi de superficie que l’UOIF loue et offre aux musulmans de France et d’Europe, voire d’Occident. C’est la plus grande manifestation. Il s'agit de créer un espace pour que les musulmans se retrouvent premièrement entre eux, mais en même temps, qu'ils invitent la société, s’ouvrent sur elle, débattent des sujets qui traversent la société. Cette année, nous avons retenu la place des valeurs dans les sociétés en mutation.
A l'UOIF, nous voulons contribuer à notre façon, en invitant des spécialistes, des conférenciers, des universitaires, des savants musulmans et non-musulmans, à tout le débat qui a cours sur la famille, sur l’Homme « avec un grand H », sur le vivre ensemble. Toutes ces valeurs, qu’en est-il ? Qu’est-ce qu’en fait notre société ? Est-ce que cette société, qui évolue et qui se transforme, a prévu d’évoluer avec ces valeurs qui font de l’homme ce qu’il est, et qui permettent aux gens de vivre ensemble avec leurs différences ?
Vous vous êtes exprimé hier, et vous avez demandé à votre auditoire de « résister au bouleversement du modèle familial ». De quoi parliez-vous précisément ?
Dans notre conception, nous les musulmans de France - et d’ailleurs nous la partageons avec nos amis catholiques et israélites de France aussi -, nous optons pour le modèle traditionnel de la famille, avec un papa, une maman et des enfants. Sûrement, d’autres ne partagent pas notre modèle, mais c'est un modèle universel, humain. La famille a toujours été définie comme ça.
D’autres définitions aujourd’hui sont défendues, soutenues par d’autres composantes de la société, que nous respectons bien sûr. Mais nous voulons dire, au nom de cette liberté qui permet aux autres de présenter des modèles voulant se substituer aux modèles traditionnels, que nous voulons contribuer et dire que non, nous la conception que nous soutenons de la famille, c’est celle-là : un papa, une maman, un époux, une épouse dans un cadre légal qui s’appelle le mariage, et des enfants issus de l’amour de ce couple.
Vous faites donc clairement référence au « mariage pour tous ». Vous disiez notamment, hier, qu'il est « étrange qu’à notre époque, où l’on prône le retour au naturel, on s’en éloigne encore plus ». On vient de voir votre position claire sur le mariage ; mais quelle est votre position sur l'homosexualité elle-même ?
Nous sommes dans une société de libertés. Je ne peux pas, moi, interdire à quelqu’un de faire un choix de sa vie, notamment une orientation de sa sexualité. Bien sûr, je ne le veux pas pour moi-même ou pour mes coreligionnaires, une position de l’islam depuis quatorze siècles sur l’homosexualité. Mais là, je suis dans un cadre de libertés. Je respecte le choix des uns et des autres. Je ne le veux pas pour moi, mais ce n’est pas pour autant que je vais le dénoncer ou le dire, ou le qualifier de mauvais choix devant telle ou telle personne qui a opté pour ce choix. Je respecte le choix des gens mais je ne le veux pas pour moi-même, ni pour les miens.
Tarik Ramadan est l’un de vos intervenants. Il est professeur d’université, idéologue, philosophe également. Il dit par exemple, par rapport à l’homosexualité, qu'elle est « contraire » à sa foi. Vous partagez cette opinion ?
Contraire à la foi musulmane, bien sûr. Ça, c’est tout à fait normal, il ne fait que prononcer la Loi. Mais il y a beaucoup de choses qui sont contraires à la foi, iI n’y a pas que l’homosexualité. Nous vivons dans une société de libertés. A un moment donné, on avait le choix et nous avons accepté le jeu en quelque sorte, en tant que musulmans, dans les années 1950 ou 1960. C'était pour se sédentariser, s’intégrer, épouser ce pays et en faire notre deuxième pays - pour la plupart des musulmans aujourd’hui, on parle de leur premier pays, mais moi je suis de la première génération. Ceux qui sont nés ici n’ont pas d'autre pays que la France.
Nous sommes dans un cadre laïc, que nous épousons, que nous respectons et que nous défendons. La laïcité est une chance - on l’a dit à plusieurs reprises - pour les musulmans. Ce cadre-là nous dicte une façon de faire, nous dicte qu’on ne peut pas, nous les musulmans, revoir les règles du jeu. On essaie d’évoluer dans ce cadre-là qui est le nôtre, mais sans nous remettre en cause.
Sur le « mariage pour tous », y a-t-il des intervenants qui ont des avis contraires, ou cet avis-là est le seul, parce qu'il est, comme vous le dites, celui de la religion musulmane ?
Il n’y a pas un avis légal, standard ici au Bourget. Nous invitons des gens sans les censurer au préalable. On ne va pas leur demander d'aller dire telle chose et de ne pas dire telle autre chose. Ce n’est pas dans les habitudes de l’UOIF. D’ailleurs, nos intervenants sont des professeurs d’université, des spécialistes. Musulman, pas musulman, chacun s’exprime. Seulement, le discours qui nous engage, celui que vous avez entendu hier, est celui de l’UOIF. Mais à part le discours de l’UOIF, tout ce qui se dit sur le podium, celui qui le dit en est responsable.
Quel est votre rapport personnel, et plus généralement celui de l’Union des organisations islamiques de France, avec les Frères musulmans ? Y a-t-il un lien idéologique voire financier, ou pas du tout ?
Vous savez, côté financier, nous, on a un seul soutien qui est la communauté musulmane de France.
Au niveau de l’idéologie ?
La pensée des Frères musulmans n’a pas un lieu donné. Elle se trouve partout dans le monde, et au niveau de la pensée qui se trouve dans les livres que l’on partage aujourd’hui, le mouvement de réformes auquel nous appartenons, nous musulmans de France, parce que nous voulons réformer de l’intérieur notre culte et notre pratique. Ce n’est pas la propriété exclusive de telle ou telle société.
Ce congrès est aussi l’occasion de parler aux jeunes musulmans. Quel est le message que vous voulez leur faire passer ?
Les jeunes de maintenant ne demandent pas de message. Ils disent : « Laissez-nous parler, donnez-nous la parole ! » D’ailleurs, il y a deux congrès en même temps au Bourget ; la grande salle de conférence, qui s’adresse à tout le monde indépendamment de l’âge et du sexe, puis tout un volet qui fait près de 25 000 m2, deux hectares et demi, et qui s’adressent aux jeunes. Ils l’ont appelé « Génér'action », pour génération action. On leur a donné une autonomie, une indépendance et ils sont vraiment fait preuve d’un génie en matière de propositions d’idées qui ont fait débat, ateliers d'entrepreneuriat, de plaidoiries. Beaucoup, beaucoup de choses ! Nous, on ne prend pas la parole à leur place, on ne leur dit pas des choses mais on leur dit : « Exprimez-vous ! »
Par rapport à l'islamophobie, qui existe, qui est réelle, à ses dangers mais aussi à d’autres dangers, notamment ceux du repli identitaire, y a-t-il un aspect prévention au Bourget ?
Il faut toujours prévenir, mais seulement sur des expressions. Je pense que les deux extrêmes sont marginaux au sein de la communauté. La communauté musulmane ne peut pas se replier sur elle-même. Aujourd’hui, elle occupe cinq hectares et demi en plein cœur de Paris. Dire qu’une communauté est tentée par le repli identitaire alors qu'elle s’ouvre... Nous, nous invitons les non-musulmans : venez nous voir de plus près !
Concernant l’islamophobie, moi ça fait trente-quatre ans que je suis ici en France. J’ai accepté de lier mon destin à mon pays que j’aime, qui est la France. Je ne vois pas d'islamophobie rampante dans notre pays. Elle se trouve dans la tête d’un certain nombre de personnes, notamment influentes, mais ce n’est pas une caractéristique, ce n’est pas quelque chose de généralisé au sein de la société française, qui reste encore une société très, très ouverte et très accueillante.