Voyage dans les entrailles de l’Elysée avec son cuisinier retraité

Valéry Giscard d'Estaing, François Miterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, mais aussi Barack Obama ou Angela Merkel, il les a tous gratinés de noix de Saint-Jacques ou d'un agneau en sauce ! Après 40 ans dans les cuisines de l'Elysée, Bernard Vaussion le chef cuisinier du palais présidentiel prend sa retraite. Visite sur son lieu de travail.

Il pousse la porte battante avec la force et la détermination d’un médecin urgentiste. C’est qu’à 60 ans, Bernard Vaussion a dans le regard quelque chose des grands hommes de l’ombre, cet aplomb de pilote de l’air avec ses lunettes, sa forte poignée de main, ce regard droit que renforcent ses cheveux courts et poivrés.

Les cuisines de l'Elysée, il les aime pour sa batterie de casseroles et cocottes en cuivre métallique. « Elles sont indestructibles, vous vous rendez-compte, elles sont accrochées en cuisine depuis 1845 ! »

Les murs, il les connait par cœur. Son bureau donne sur les fourneaux, au sous-sol, juste en-dessous de la cour officielle. Ce qui fait dire à l’intéressé qu’il a fait carrière dans le « ventre » du palais.

François Hollande a rétabli le fromage, ça manquait !

Coup de chance, au moment de notre visite, le successeur, Guillaume Gomez, passe dans le couloir et se fait happer par son mentor. Interview improvisée avec deux chefs sur la même longueur d’onde, ravis de la dernière passation entre l'ancien président Nicolas Sarkozy et François Hollande. Mais la couleur politique n’y est pour rien. Par soucis d’efficacité pour gagner du temps sur les déjeuners de travail, l’ancien Président avait supprimé un plat de la carte : le fromage. « C’est vrai que ça manquait, parce qu’avant tout, la France est le pays du fromage. Il n’y a qu’une seule personne qui avait droit, lors de ses visites en France à son assiette de fromages particulière, c’est Angela Merkel. »

Une chancelière rencontrée une fois seulement, à Bruxelles, lors d’un Conseil européen, et que la faveur gastronomique a sûrement aidé à réchauffer son début de relation avec Nicolas Sarkozy.

Car il faut le savoir, les cuisiniers de l’Elysée partent souvent à l’étranger en cortège présidentiel, avec dans les bagages, leurs casseroles mais surtout les produits du terroir.
Lorsqu’on leur demande quels grands de ce monde les ont le plus impressionnés, Bernard Vaussion et Guillaume Gomez s’exclament encore d’une même joie : « Barack Obama ! Une prestance incomparable, un grand bonhomme avec un charisme étonnant. »

Une pointe de fierté dans leurs yeux lorsque ces deux chefs, qui collaborent déjà en cuisine, se remémorent leur dernier voyage aux Etats-Unis, invités par Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies.

A l’ONU avec Ban Ki-moon pour un cours de cuisine en 15 minutes

Ce fut une première mondiale et un jour à marquer d’une croix blanche dans leur vie d’homme et de cuisinier. L’événement date de quelques mois, mais reste frais dans la mémoire et réalisée grâce au « Club des chefs des chefs ». Une association que Guillaume Gomez a fondée pour réunir les chefs cuisiniers des rois et présidents du monde entier. Informé de l’initiative, Ban Ki-moon a fait venir tous les membres pour un cours express d’un quart d’heure sur le thème « De l’importance de la table dans les relations internationales ».

Des dîners d’Etat où se nouent et dénouent les tensions diplomatiques. Pascale Tournier, auteure d’une enquête « Les cuisines du pouvoir » l’explique très bien : « Tout fait lien dans le repas, à commencer par le plan de table. Une personne particulièrement bien placée sera mise en valeur. Les politiques le savent bien, l’occasion pour adoucir les positions de son interlocuteur en cas de litige ou conflit. Qu’est-ce la politique sinon l’art de convaincre ? »

Une tradition Napoléoniènne

C’est au Français Talleyrand, le conseiller de Napoléon, à qui l’on doit l’idée de rapprocher les hommes de pouvoir autour d’une nappe. Cette cuisine et ce repas français, classés au patrimoine de l’Humanité dont les politiques se servent pour prouver le pouvoir de la République. François Mitterrand en a usé pour son premier voyage en Chine. Quand à Paris, dans les couloirs de l’Elysée, le général de Gaulle laissait la tâche du choix des menus à son épouse Yvonne. L’ancien cuisinier du Général, Joël Normand, se souvient : « Lui, ce qui l’intéressait c’était la politique, la France avant tout. La cuisine passait au second plan. Yvonne comme elle n’y connaissait rien en cuisine, choisissait les recettes du protocole dans les magazines féminins et les livres de recettes ! »

L’autre indice du prestige de la gastronomie française se démontre à la langue des menus. Au plus haut niveau diplomatique, encore aujourd'hui, les cartes s’exposent en français à la table de l'empereur du Japon, ou du roi de Thailande. Avec aussi, jusqu'aux années quatre-vignt-dix, l'époque des Clinton, des cuisiniers français à la Maison Blanche. Christian Roudeau en a écrit un livre, Les chefs des chefs, et remarque que c’est Hillary Clinton qui a mis fin à la tradition. « Nous étions à l’époque de l’America First, l’Amérique avant tout, et la première femme du pays a renvoyé le cuisinier de l’époque pour le remplacer par un chef américain. La consigne était de garder une base d’ingrédients français mais de les incorporer dans des plats américains ! »

Jacques Chirac chouchou des Toqués

Première place sur le podium pour Jacques Chirac ! A l'unanimité un gourmet qui appréciait et goutait de tout quand un Mitterand pinaillait et faisait rapporter les plats en cuisine. Mais de l’avis de tous les cuisiniers contactés, quelle que soit leur appartenance politique, tous les présidents de la Vème République appréciaient et connaissaient la grande cuisine. Nicolas Satrkozy compris, lui que la rumeur disait adepte de repas TGV jugés trop rapides voire insipides.

Des anecdotes en pagaille à l’agenda, mais la confiance faite au maître pour ne pas trop divulguer des manies et menus des chefs élyséens. Pour la petite histoire, Jacques Chirac ne commandait pratiquement jamais de tête de veau pour ses repas quotidiens. Il réservait le veau pour les caméras et se régalait plus franchement d'escargots à l'ail et de desserts au chocolat.

Quant aux traditions républicaines, le grand gagnant pour les casser est Valéry Giscard d'Estaing. Un président gourmet, fin connaisseur, qui a rompu le protocole en imposant pour la première fois de l'histoire de la Vème, des menus et recettes moins caloriques.

Enquête du FBI versus amitié et confiance

Ces cuisiniers, des hommes de présidents, qui ont leur vie entre les mains, comment sont-ils recrutés ? Contrairement aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne où ils font l'objet d'une enquête du FBI et de la police, avec clause de confidentialité, le pacte en France reste oral. Les cuisiniers du palais ne signent rien, parce qu’ils sont souvent des enfants du sérail, rentrés à l’Elysée d’abord comme apprentis, et grandis au sein de la maison.

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