Le site américain Buzzfeed bientôt en version française

Fondé en novembre 2006 à New York, le site Buzzfeed s’apprête à lancer une version destinée au public francophone. Mêlant listes loufoques et informations sérieuses, Buzzfeed a fait de l’humour son arme de séduction et de la publicité éditoriale son modèle économique. Ce sont des étudiants non rémunérés qui assureront la traduction en français des articles.

A la fois potache et sérieux, le site américain Buzzfeed n’a pas d’équivalent en France et c’est certainement ce qui pousse aujourd’hui ses créateurs à vouloir tenter une expérience : lancer une version française du site avec des articles traduits directement de l’anglais par des étudiants. Avant de prendre éventuellement pied en Hexagone, le site new-yorkais va en effet faire appel à Duolingo pour traduire ses papiers, une plate-forme d’enseignement des langues étrangères également utilisée depuis peu par CNN.

Cocktail détonnant

Fondé fin 2006 par Jonah Peretti (39 ans), un ancien étudiant du MIT (Massachussetts Institute of Technology), Buzzfeed a connu une croissance phénoménale et continue de grandir : 85 millions de visiteurs uniques pour le seul mois d’août 2013, soit le triple par rapport à août 2012. La recette de Buzzfeed (que l’on pourrait traduire par « pourvoyeur de buzz ») tient dans sa dénomination : « faire le buzz » par tous les moyens, si possible avec une bonne dose d’humour.

Buzzfeed y parvient grâce aux désormais fameux « listicles » (contraction des mots « liste » et « article ») qui énoncent des listes allant des plus instructives aux plus farfelues, agrémentées d’animations en format GIF (cela va des « 28 raisons pour lesquelles vous devriez faire vos études en Amérique du Sud » aux « 17 animaux domestiques qui ne vous laisseront pas tranquille quand vous êtes aux toilettes »). Cocktail bien secoué d’actualité chaude, d’infos « people » et de « news » insolites, Buzzfeed crée parfois aussi la sensation avec des scoops sérieux, comme l’annonce du soutien du sénateur John McCain (candidat malheureux face à Barack Obama à la présidentielle de 2008) à Mitt Romney pour l’investiture républicaine à l’élection de 2012.

Reste que son cœur de cible est constitué d’un public qui s’ennuie au bureau, dans les transports ou chez lui, des semi-oisifs à la recherche d’un instant de détente qui - c’est là le piège - peut vite se transformer en quart(s) d’heure d’égarement car Buzzfeed, qui incite au partage de liens entre amis, est dangereusement chronophage. Là où la plupart des sites classent l’information en rubriques standard (International, Politique, Société, Economie, Culture, Sports, etc.), Buzzfeed la décline à l’attention de la « LOL-génération » avec des pastilles LOL justement, ou encorewin , fail, wtf, cute, trashy, omg … autant d’abréviations ou d’onomatopées empruntées au vocabulaire des Américains de moins de 25 ans.

Approche différente

« Sa façon de faire de l’info est différente de celle des pure players (1) », confiait mardi à l’Agence France-Presse, Alice Antheaume, responsable de la prospective à l’Ecole de Journalisme de Science Po à Paris. « Buzzfeed, poursuivait-elle, va miser sur des articles avec des listes, le social et le mobile, un créneau pas forcément occupé par les autres. Mais il n’est pas encore connu du grand public ». Cela pourrait changer avec ce passage au français prévu pour le lundi 4 novembre, une arrivée qui pourrait à moyen terme perturber le fragile écosystème du web hexagonal.

« Cette arrivée va forcément avoir un impact », estime Alice Antheaume. « Cela va tendre un peu le marché publicitaire, car il n’y a pas des milliards de revenus publicitaires possibles ». Bâti sur un modèle économique novateur avec des contenus spécialement rédigés pour des annonceurs - le native advertising - Buzzfeed va-t-il s’accaparer une partie du marché publicitaire français ? C’est l’une des questions qui vont se poser dans un pays comme la France où ce type de pratique, nuisible en termes de crédibilité, reste mal vu.

Reste à savoir aussi dans quelle mesure l’humour à la Buzzfeed, fait de références culturelles et de sous-entendus typiquement américains, va fonctionner une fois traduit en français, a fortiori par des étudiants qui ne sont ni interprètes ni journalistes et qui, de surcroît, travailleront gratuitement, selon le même principe que les contributeurs à Wikipedia. D’après Luis von Ahn, le co-fondateur de Duolingo, cela ne constitue pas un problème. « Individuellement, nos étudiants sont moins bons (que des professionnels), mais collectivement, ils sont aussi efficaces », a-t-il confié au site spécialisé 01net.

(1) pure players : sites d’information en ligne financés uniquement par la publicité et les abonnements

Partager :