«Kanak», une exposition politique et culturelle au musée du Quai Branly

Est-ce un nouveau chapitre qui nous mène à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie prévue par l’Accord de Nouméa entre 2014 et 2018 ? Kanak. L’Art est une parole s'avère être la plus importante exposition jamais réalisée sur la culture kanak. Du 15 octobre jusqu’au 26 janvier, le musée du Quai Branly à Paris présente sur 2 000 mètres carrés le fruit des recherches anthropologiques et historiques menées depuis trente ans : 300 œuvres et documents exceptionnels et souvent inédits - issus de collections publiques de France, de Nouvelle-Calédonie et de toute l’Europe. Entretien avec le co-commissaire Roger Boulay, spécialiste d’art océanien et tout spécialement d’art kanak.

Avez-vous mis les perches sculptées contemporaines et colorées à l’entrée pour nous rappeler que l’exposition se veut résolument contemporaine ?

Oui. L’exposition a décidé de montrer les sources à travers des objets, de la vie, de l’aspect intemporel de la philosophie kanak. Et de montrer de quelle manière ces thèmes essentiels de la société et de la vie kanak, de sa conception du monde, vivent toujours à notre époque. Ces thèmes sont certes transformés, mais toujours vivants.

Aujourd’hui, quel usage est fait de ces perches contemporaines ?

Ces perches sont des sculptures, comme une sorte de branches sur lesquelles sont accrochés des tissus, des paréos très colorés. Ces paréos ont été des supports à des discours, à des échanges de mots, de paroles entre différents groupes, entre des Kanaks et des gens du musée du Quai Branly. Avant l’ouverture de l’expo, il y avait une grande coutume entre les gens du musée et les gens qui sont venus de la Nouvelle-Calédonie pour inaugurer coutumièrement cette exposition. À la fin de cette cérémonie, ces tissus échangés ont été accrochés à ces masques sculptés.

L’exposition s’intitule Kanak. L’Art est une parole. En quoi la parole est plus un art chez les Kanak que dans une autre culture ?

Peut-être pas plus que dans une autre culture, mais il y a une très forte valorisation de la parole dans la société kanak. Il y a énormément d’occasions – plus ou moins importantes- au cours desquelles on ne fait rien sans qu’il n’y ait une parole dite. Cela se retrouve sur des supports matériels qui sont des sculptures, qui peuvent être des haches de cérémonie ou des monnaies ou des coquillages. Ce ne sont pas des objets qui fonctionnent tout seuls, mais des supports à cette parole, un support à des discours. Toute la société kanak – ancienne et contemporaine- est une société qui est irriguée par cette idée de la parole qui prend chair dans des objets. On a voulu faire en sorte que ce ne soit pas une exposition d’art traditionnel où l’on aligne, côte à côte, des objets certes esthétiques, mais dont on ne comprend pas très bien le sens profond.

C’est la plus importante exposition depuis De jade et de nacre en 1990. Quelles sont les plus importantes révélations issues de vos recherches ?

Ce qui est nouveau, c’est qu’on a pu rassembler encore plus d’objets –grâce à des opérations d’inventaire assez soutenues, dans des musées d’Europe et de France. On ne réfléchit pas de la même manière quand on a trois sculptures que quand on a deux cents. Quand on en a trois, on les décrit et on essaie de donner à peu près leur fonction. Quand on en a deux cents, on commence à voir des évolutions, des transformations, on se rend compte que c’est un art qui n’est pas totalement figé, mais qui a eu lui-même, dans les deux derniers siècles, des évolutions formelles intéressantes.

En 1975, il y avait la création du festival Mélanésia 2000, en 1988, il y avait les accords de Matignon, en 1989 la création de l’Agence de développement de la culture kanak (ADCK), suivie par l’ouverture du centre culturel Tjibaou (inscrit dans le cadre des Grands Travaux sous la présidence de François Mitterrand) et la mise en place du processus d’émancipation aboutissant entre 2014 et 2018… Est-ce que la culture kanak est plus politique qu’une autre ?

Grâce à la réflexion assez profonde de Jean-Marie Tjibaou sur l’idée du patrimoine, les Kanak ont fait en sorte de lier intimement action politique et action culturelle. En particulier, cela aboutissait sur des problèmes fondamentaux de reprise d’identité. Il y a toujours eu chez ces responsables politiques la volonté de lier le politique et le culturel. Cela est très  caractéristique, en particulier de la société kanak, mais aussi des jeunes sociétés mélanésiennes dans le Pacifique.

Les Kanak ont peuplé cette île en 1100 av. J.-Chr. La colonisation avait commencé au 18e siècle. Est-ce que c’était une rupture ou plutôt une renaissance de la culture kanak ?

Les ruptures ou les transformations ne sont pas si nettes puisque le monde kanak a été sans doute en contact assez longtemps -on le pense maintenant avec quelques indices matériels- avec d’autres visiteurs comme des santaliers ou des baleiniers, quelque temps avant même la visite inaugurale du capitaine Cook en 1774. Les premiers voyageurs occidentaux comme l’Anglais James Cook ou le Français Antoine Bruni d’Entrecasteaux n’introduisent pas de rupture dans la société kanak. Ils introduisent des transformations, parce qu’on voit des objets nouveaux, on les intègre d’ailleurs dans la construction d’objets traditionnels comme les tissus ou le métal, etc., mais ce sont plutôt des périodes où les Kanaks transforment à leur bénéfice des choses qu’ils ont prises ou vues auprès des explorateurs qui sont restés tous très peu de temps.

Le Capitaine Cook est resté une semaine en Nouvelle-Calédonie !

Il ne voit rien d’autre de la société kanak que des types qui se baladent avec des massues et des casse-têtes. C’est pourquoi dans les collections du capitaine Cook on a surtout des massues et des casse-têtes tandis qu’Antoine Bruni d’Entrecasteaux va rester en 1793 un mois entier ! Grâce à ce long séjour, il va voir les grandes statues monumentales, il va décrire la hache ostensoir. Ce sont ses marins qui lui donnent ce nom qui est resté. Et c’est lui qui va découvrir l’existence du masque. C’est une influence très progressive. Il ya toute une période où l’on a ces santaliers qui sont sur le bord de mer. Le changement est probablement que les gens sont attirés vers le bord de la mer, par l’espérance de voir arriver ces bateaux, alors qu’ils habitent dans les hauts de terre. C’est qu’à la période missionnaire, aux alentours de 1840, que les choses changement vraiment.

La colonisation a toujours impliqué des pièces volées et dérobées. Où on est aujourd’hui avec l’art kanak dans les musées occidentaux ?
On a plusieurs façons de collecter les objets au 19e siècle : parfois ils sont enlevés lors d’opérations militaires, mais il y a aussi des grandes collectes scientifiques qui sont faites à la fin du 19e siècle avec l’assentiment d’un certain nombre de responsables kanak. On a aussi des toutes petites mini-collectes où des gens ramassent une dizaine d’objets et les ramènent dans leur pays, parce qu’ils étaient gendarmes, missionnaires ou administrateur colonial. Cela est l’histoire de toutes les collections de la période coloniale. Elles sont d’une grande variété d’origine. Ce qu’il faut préciser, c’est qu’il y a eu une période, à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, où la société kanak était au plus mal, à la fois moralement et démographiquement. Et il restait très peu de gens. Un gouverneur de l’époque avait dit au missionnaire et pasteur Maurice Leenhardt : « Que venez-vous faire ici ? Dans dix ans, il n’y aura plus de Kanak ». Il y a eu un certain nombre de collectes réalisées pendant cette période. Mettons-nous à la place de ces gens démoralisés et découragés, cédant très facilement un certain nombre d’objets traditionnels. C’est comme cela que se constitue vraisemblablement la collection de Vienne en Autriche et puis celle de Bâle en Suisse. Il ya plus que 80 musées français qui ont des objets kanak et plus de 160 musées dans le monde entier.

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Kanak. L’Art est une parole, du 15 octobre jusqu’au 26 janvier au musée du Quai Branly à Paris. L'exposition sera présentée à l' ADCK-Centre culturel Jean-Marie Tjibaou à Nouméa du 15 mars au 15 juin 2014.

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