«Georges Braque» au Grand Palais: la réhabilitation de l’anti-Picasso

Le Grand Palais ouvre ce 18 septembre la plus grande rétrospective de Georges Braque depuis 40 ans en France. Du fauvisme et cubisme jusqu’aux derniers paysages d’une horizontalité aussi étonnante qu’éblouissante, toutes les périodes de l’artiste sont merveilleusement traitées. Brigitte Leal, la commissaire de l’exposition promet de faire « resurgir des parties de Braque restées dans l’ombre ». Et le parcours révèle aussi la place centrale que les femmes occupent dans l’œuvre de Braque (1882-1963). Entretien.

50 ans après la disparition de l’artiste, vous signez une réhabilitation de Braque. C’est étonnant pour un peintre si célèbre. Pourquoi il vous semble sous-estimé ?

Braque a été effectivement sous-estimé puisqu’il n’y a pas eu à Paris de grandes rétrospectives de son œuvre depuis 40 ans. Il y a eu des très belles expositions à la Fondation Maeght, aux États-Unis, à Londres, en Allemagne, en Suisse. On s’est surtout concentré sur le cubisme de Braque en le couplant toujours avec celui de Picasso et en oubliant que Braque a eu une œuvre indépendante, magnifique, superbe, jusqu’à ses derniers jours en 1963, la date de sa mort.

À travers des photographies, des vidéos et aussi des tableaux, vous montrez Braque avec tout ce que Picasso n’était pas. Vous rappelez qu’il était musicien, grand, doté d’un beau visage et qu’il a été blessé à la guerre de 1914-18.

Oui, d’une certaine façon, c’est l’anti-Picasso. C’est un homme introverti et solidaire alors que Picasso a été extraverti. Il avait une très grande sensibilité musicale, c’était un intellectuel, un amateur de poésie, de littérature. Il a été extrêmement lié à toutes les grandes figures de la littérature et de la poésie de son temps. Par exemple, c’est René Char qui le présentait à Heidegger. Il a été très aimé de Giacometti, de Chagall et même de jeunes artistes comme Nicolas de Staël.

À la question pourquoi n’est-il pas devenu une star comme Picasso, souvent on répond que Braque n’a pas fait d’autoportraits et de portraits de femmes. Et là, ce qu’on découvre sur les tableaux dans votre exposition [voir diapo sonore], c’est que les femmes occupent une place centrale dans la peinture de Braque.

Il n’y a pas vraiment de portraits de femmes dans l’œuvre de Braque. Il n’y a aucun autoportrait, alors qu’il y en a énormément dans l’œuvre de Picasso. Mais il y a des nus extrêmement présents, puissants, souvent monumentaux. Il y a le Grand Nu de 1908 qui ouvre tout le cubisme, une œuvre qui fait un peu écho des Grandes Baigneuses de Cézanne ou des Demoiselles d’Avignon de Picasso. Il y a aussi ces Canéphores des années 1920 qui sont l’emblème du classicisme moderne de Braque. Il y a également des grands nus dans les années 1930, mais Braque est plus un artiste de la représentation de l’atelier et de figures symboliques comme les oiseaux. C’est surtout un très grand paysagiste.

Quand Braque s’exclame : « Je ne pourrais représenter une femme dans toute sa beauté naturelle. Je dois créer une nouvelle sorte de beauté ». Est-ce qu’il s’est inspiré des femmes pour développer son art ?

Je crois que la forme de beauté moderne, c’est un nu antiacadémique qui tire sa radicalité des déformations de Cézanne qui tire sa radicalité du primitivisme, d’une sorte de géométrie cubiste. La beauté moderne inventée par Braque, c’est celui des papiers collés, d’une peinture très matiériste, très physique. C’est aussi la présence des mots dans la peinture, des mots qui créent des œuvres interactives qui sont autant à voir qu’à lire. Donc cette radicalité de moyens, elle est vraiment à la source de la modernité.

Vous montrez quelque 200 œuvres, du fauvisme, du cubisme jusqu’aux derniers paysages d’une horizontalité éblouissante en passant par les séries des Ateliers, des Billards et des Oiseaux… En quoi votre exposition est unique ?

C’est une exposition qui est unique et qui s’est voulue très vaste en faisant resurgir des parties de Braque restées un peu dans l’ombre. Par exemple, comme c’est le cas dans les années 1930 avec son illustration de la mythologie, à travers des livres illustrés, des sculptures, des plâtres peints, qui font écho aussi à sa réalisation picturale. Et puis il y a toute la période de Varengeville-sur-mer en Normandie pendant la guerre, qui était à la fois très sombre, très symbolique du climat du deuil, de faim, de peur de l’époque, mais aussi très lumineuse avec des natures mortes éclatantes de couleur. Donc toute cette partie de l’œuvre de Braque a été un peu oubliée. On a mis en avant le fauvisme, le cubisme, la période des oiseaux aussi qui est très présente à la Fondation Maeght, mais on n’avait pas vu l’œuvre de Braque dans sa continuité et ses évolutions.

______________________________________

__________
Georges Braques, exposition au Grand Palais de Paris, du 18 septembre 2013 jusqu’au 6 janvier 2014.

 

Partager :