Poussez les portes de la galerie Chantal Crousel, cachée dans une arrière-cour du Marais à Paris, et vous allez vous retrouver face à l’« idéal particulier », la Vénus de Lespugue, l’une des plus célèbres et étonnantes représentations féminines préhistoriques, projetée sur le mur.
La Vénus de Lespugue
Minutieusement et sans relâche, la caméra « creuse » la pierre de la Vénus. Le tout est accompagné par le va-et-vient de l’archet sur les cordes du violoncelle manié par Maya Beiser. Une petite mélodie qui a commencé en pizzicato et finit par faire chavirer nos émotions. S’installe alors une compréhension loin au-delà des considérations scientifiques à l’œuvre. C’est d’après un modèle mathématique - qui a exploré et calculé la surface de la statue - que la musique a été composée pour ce film intitulé 3. « L’hypothèse de scientifiques américains est que les proportions de cette statue, par exemple entre la tête et les épaules ou entre les épaules et les hanches, correspondent à une gamme musicale et se rapprochent au mode dorien des Grecs anciens, explique Jennifer Allora. Nous avons alors testé cette théorie ».
Etre relié au paléolithique supérieur
Les 72 unités de la Vénus ont été traduites en 72 battements par minute. Les proportions de la statue, transformées en gamme musicale. Et nous voilà pris et submergés par une fascinante beauté qui resurgit et nous relie avec le paléolithique supérieur. La Vénus de Lespugue, réalisée en ivoire de mammouth, fascine depuis 25 000 ans par ses formes exubérantes qui tiennent en une main et qui restent jusqu’à nos jours inexpliquées. « Ce qui nous semble intéressant, c’est de spéculer sur le fait qu’il y avait à cette époque probablement une intelligence beaucoup plus grande que ce que nous avons pensé jusqu’à maintenant ».
Les deux artistes Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla, qui parlent et travaillent d'une seule voix, respectivement nés à Philadelphie et à La Havane, étaient en 2011 les premiers artistes vivant à Porto Rico à avoir représenté les États-Unis à la Biennale de Venise. « Leur travail a toujours été en rapport avec la nature, les origines, les aspects invisibles ou insoupçonnés qui règlent et dirigent les actions humaines », résume la galeriste Chantal Crousel. Pour le Festival d’automne, ils ont fouillé dans les incroyables et inépuisables collections du Muséum national d’histoire naturelle de Paris.
Apotome
Dans Apotome, ils font chanter Tim Storms devant les squelettes des éléphants conservés au Muséum. Une idée incongrue ? Absolument pas. En fait, leur œuvre raconte l’histoire de Hans et Parkie, deux éléphants arrivés au Muséum en mars 1798, en tant que trophées de guerre. Les artistes nous font revivre une expérience réalisée à l’époque : « Un concert, organisé par des musiciens et non pas par des scientifiques, a été donné à l’intention exclusive des deux éléphants dans la ménagerie pour mesurer les effets de la musique sur les animaux. C’était le premier concert à l’intention d’animaux qui a été documenté, raconte Guillermo Calzadilla. Et pendant nos recherches, nous sommes tombés par hasard sur les ossements de ces deux éléphants. » Comme ils faisaient en même temps des recherches sur la voix humaine, ils ont sollicité Tim Storms pour ressusciter la performance avec les mêmes partitions. Le chanteur possède la voix la plus grave au monde, qui peut atteindre jusqu’à huit octaves en-dessous du Sol, le plus grave au piano. Un exploit que seuls des animaux grands comme les éléphants sont capables d’entendre… les hommes ressentent uniquement des vibrations.
L’archéologie sonore à l’œuvre
L’installation monumentale Hope Hippo ouvrira le festival au premier étage de la Grande galerie de l’évolution du Muséum national d’histoire naturelle. Elle montre un homme lisant silencieusement son journal sur le dos d’un hippopotame en boue, accompagné par les sons stridents d’un petit sifflet. « C’est un lanceur d’alerte qui lit le journal, dit Guillermo Calzadilla. Et quand il lit quelque chose qui le touche, il joue la flûte et lance l’alerte. » L’archéologie sonore à l’œuvre. Des notes qui traversent les continents et les siècles sans se soucier des hommes. Ainsi va le monde.
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Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla au Festival d’Automne à Paris
-         du 13 septembre au 19 octobre à la Galerie Chantal Crousel
-         du 13 septembre au 11 novembre au Muséum national d’histoire naturelle
Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla seront également à l’honneur le lundi 16 septembre à 19h au Centre Pompidou / Cinéma 2, en présence des artistes.