Visa pour l’image: témoigner face à la violence

Le plus grand festival international de photojournalisme se tient jusqu’au 15 septembre à Perpignan dans le Sud de la France. Un rendez-vous incontournable pour tous les professionnels, mais aussi les amoureux de la photographie et qui fête cette année sa 25e édition. Rencontres avec des photographes qui ont affronté les guerres et la violence domestique.

Un homme attend, la tête baissée devant un immeuble ravagé par les bombes. De la fumée s’échappe du trou béant causé par l’attaque, dans un flot de lumière et au milieu de ce chaos, il apparait, abattu, et perdu, les mains dans les poches. Cette photo prise à Damas en Syrie est celle de Goran Tomasevic, un photographe de guerre venu présenter son travail à Perpignan. Pour témoigner, ne pas oublier, Visa pour l’image consacre trois de ses expositions à la Syrie, en pleine actualité brulante. Au moins 24 journalistes sont morts en Syrie depuis le début du conflit en 2011.

« On les vise ou on les kidnappe »

« C’est vrai, sur le terrain c’est extrêmement difficile. Avant, là où les journalistes étaient souvent les bienvenues pour témoigner, aujourd’hui, on sait que ce sont des cibles qui valent souvent de l’argent, souligne Jean-François Leroy, le directeur de Visa pour l’image. Donc on les vise ou on les kidnappe. Cela devient de plus en plus difficile de travailler sur le terrain. Après, l’économie du métier est difficile, parce que, en 25 ans, on a vu le prix des photos dans les magazines s’effondrer complètement. L’apparition du web qui est magnifique et ô combien irremplaçable pour la diffusion des histoires, cela ne rapporte pas beaucoup d’argent encore. Mais quand vous parlez de tous ces jeunes aspirants, ce qui me fascine assez, c’est la détermination qu’ils ont de continuer dans ce métier vraiment pas facile. Est-ce que le photojournalisme est en train de mourir ? Non, Visa pour l’image est la preuve vivante pour le dynamisme de cette profession. »

« On n’est pas là pour choquer »

Un métier qui fait rêver, mais qui provoque la controverse. Comme ces photos d’enfants blessés par des tirs d’obus dans le reportage de Sebastiano Tomada qu’il a réalisé dans un hôpital syrien. Comment réagir face à la douleur, et est-ce que ces photos servent à quelque chose ? Pour Patrick Chauvel, photographe de guerre depuis 40 ans, il n’y a aucun doute : « Je pense que, même si on touche qu’une seule personne avec un reportage [on sert à quelque chose, ndlr]. Quelqu’un va ouvrir un journal comme Life, Paris Match ou Newsweek, et être interpellé par une photo. On n’est pas là pour choquer, mais pour interpeller le plus fort possible, à la limite du choc. Qui sait ce que cette personne fera après ? Après cela peut devenir exponentiel quand il va parler de cette photo et de l’article dans une soirée. »

« Individuellement, on peut changer les choses, poursuit Patrick Chauvel. Même sur le terrain, on peut apporter quelque chose aux combattants en étant là. Ils se sentent moins seuls. Et en même temps, ils voient aussi qu’ils ont un témoin. Donc ils font attention. Moi, j’ai la naïveté de croire que, à force, cela peut marcher. Le public s’intéresse à ce qu’on lui montre. Après il en discute. Après, une guerre chasse l’autre. Malheureusement, c’est comme ça. Je pense cela n’est pas prêt de s’arrêter. C’est un des plus vieux phénomènes du monde. La photo empêche juste les gens de dire : on ne savait pas. Ça, pour moi, c'est irrecevable. En Allemagne, cela a été dit à la fin de la Seconde Guerre mondiale : on ne savait pas. C’est plus ou moins recevable. Aujourd’hui, ce n’est pas recevable de tout. Après les gens font ce qu’ils veulent. Pour moi, ils auront été prévenus. »

« Shane et Maggie, portrait d’une violence domestique »

Éveiller les consciences, éduquer, provoquer le débat, voilà l’objectif de Visa pour l’image qui propose aussi de se pencher sur des faits de société proche de nous. La jeune journaliste américaine Sara Lewkowicz a photographié pendant un an un couple qui se déchire. Shane et Maggie, portrait d’une violence domestique est une histoire banale de violence domestique, qui prend aux tripes comme cette photo où l’homme est penché sur sa compagne contre la gazinière et menace de la frapper. « Dans cette photo, explique Sara Lewkowicz, Shane est en train de bloquer Maggie dans un coin de la cuisine et la fille de Maggie, Memphis, a couru et enlevé sa couche, donc elle est nue. Elle tape des pieds, elle crie pour qu’ils détournent leur attention vers elle. C’est intéressant, parce que beaucoup de personnes m’ont critiqué de ne pas être intervenue lors de cette scène. D’autres m’ont critiqué de ne pas avoir éloigné la petite fille, mais il y avait un autre adulte à ce moment-là dans la maison. Et cette personne était en train d’appeler les secours quand j’ai pris la photo. »

Reste la question de ce qu’elle a voulu montrer avec cette photo ? « Je pense que malgré tous les progrès qui ont été faits pour reconnaître la violence domestique, c’est toujours un crime qui reste dans la sphère du privé. Et on ne veut pas en parler ou en entendre parler. Ce qui explique pourquoi tant de personnes sont gênées par mes photos. Il y a des millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui souffrent à la merci de leur compagnon ou de parents. Il faut vraiment que les personnes se réveillent. »

Sara Lewkowicz a reçu le prix de la ville de Perpignan Rémi Ochlik, du nom de ce photographe français de 28 ans, mort l’année dernière à Holms en Syrie.

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