Christophe Bertolin : «Il faut que le travail de Rémi Ochlik continue à vivre»

Le Festival Visa pour l’Image rend hommage à l’un des enfants prodiges du photojournalisme. Entré clandestinement en Syrie, le Français Rémi Ochlik, 28 ans, a été tué par les obus de Bachar el-Assad. C’était à Homs, le 22 février 2012. A Perpignan, entre le 1er et le 16 septembre, la rétrospective 2004-2012 évoque le destin tragique et la dimension exceptionnelle de ce photojournaliste qui avait publié dans Paris Match, Time magazine et le Wall Street Journal. Entretien avec le photographe Christophe Bertolin, qui est passé par la même école (Icart Photo) et qui, en 2005, avait cofondé avec Ochlik l’agence de presse IP3 Press.

Le 22 février 2012, en Syrie, Rémi Ochlik et la journaliste américaine du Sunday Times, Marie Colvin, 56 ans, ont été tués lors du bombardement d’une maison transformée en centre de presse dans un quartier rebelle de Homs. Faut-il plus protéger les photojournalistes ?

C’est un centre de presse qui a été pris pour cible. Ils ont été bombardés par l’armée syrienne. Les photojournalistes sont devenus des cibles à part entière, au même titre que les civils, les insurgés ou les rebelles. Je ne suis pas sûr que la solution soit de les protéger avec des milices ou avec de la sécurité privée. Il y a un gros travail à faire, en amont, en prévention. Mais la solution n’est pas de les protéger.

Etaient-ils conscients des risques qu’ils prenaient en y allant ?

A partir du moment où un photoreporter va dans un pays en guerre, il est conscient des risques qu’il y a. Rémi et Marie étaient des grands professionnels. Même si Rémi était beaucoup plus jeune, il avait une certaine expérience. Il était conscient des risques en allant en Syrie. Il est mort en essayant de fuir le centre de presse.

Qu’est-ce que vous montrez du travail de Rémi Ochlik au Festival Visa pour l’Image?

Il y a une rétrospective de son travail avec une exposition sur le « printemps arabe ». La rétrospective sera sur son premier grand reportage sur le temps après la chute du président Aristide en Haïti, jusqu’à la Syrie.

Qu’est-ce qui caractérise le travail de Rémi Ochlik ?

Il a été surnommé « l’enfant prodige ». Il est parti en Haïti alors qu’il n'avait que vingt ans. Il est revenu avec des images impressionnantes. Il était surdoué. Ses images avaient quelque chose, elles dégageaient quelque chose de très grand.

Il y a une image qui vous vient à l’esprit ?

Ce sont des images très dures, la plupart ne sont pas connues du grand public, parce qu’elles étaient trop dures à montrer. Il y a une image d’un homme à terre, avec la tête en sang et des appareils photo tout autour. Il y a une autre image que j’ai en tête : une image d’un rebelle accroupi avec le drapeau libyen.
 

Comment a-t-il couvert le « printemps arabe » ?

Il a commencé par Haïti. En revenant de Haïti, il a été remarqué par Jean-François Leroy. A l’époque, il avait droit à une projection au Festival Visa pour l’Image. Ensuite il a continué à faire de l’actualité et puis il a commencé à repartir : au Congo, au Liberia, une nouvelle fois en Haïti, où il avait fait un très beau travail sur le choléra. Ensuite vient le « printemps arabe », où il avait commencé avec la Tunisie. Il est arrivé très rapidement en Tunisie. Il y est allé avec son ami Lucas Dolega et il a perdu son ami Lucas là-bas, dans les mêmes circonstances. Lucas a été tué par une bombe lacrymogène à bout portant. Rémi était à ses côtés quand c’est arrivé, et il a tout de suite dit : « Je vais continuer le « printemps arabe » pour Lucas. » Donc, à partir de là, il a fait tout le « printemps arabe » : l’Egypte, le Maroc, la Libye et la Syrie.

Pour qui a-t-il travaillé ?

Il travaillait pour sa propre agence IP3 Press. Après, il a été de nombreuses fois en commande pour Paris Match, surtout les derniers reportages. Ses photos étaient toujours signées IP3, mais il a été en commande pour Paris Match et d’autres magazines. Le problème du photojournalisme d’aujourd’hui, c’est que c’est un métier en crise, un métier précaire et le photojournalisme doit souvent se démerder avec ce qu’il a. Parfois, c’est arrivé que Rémi parte avec son propre argent, parce que l’agence ne pouvait pas prendre les frais en charge, parce que cela coûtait trop cher. Alors il partait avec son propre argent.

Rémi Ochlik. 2004-2012, est-ce que cette rétrospective d’un jeune photojournaliste tué lors d’un reportage a une signification au-delà d’un simple hommage ?

Je pense que cela va au-delà. Bien sûr, c’est un hommage. Mais il faut que cela ne s’arrête pas là. Il faut que son travail continue à vivre, malgré sa mort. C’est aussi pour montrer aux gens : « Voilà, continuez, il y a des choses à faire, il ne faut pas s’arrêter ».
 


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