« Pourquoi n’aurions-nous pas collectivement, et n’aurais-je pas le droit, moi, comme candidat à la présidentielle, le droit d’inventaire ? N’est pas cela l’attitude de la raison et de l’esprit critique ? » Le propos a 18 ans, lancé par Lionel Jospin un soir d’avril 1995. François Mitterrand achève dans la douleur son second septennat. Lionel Jospin est le candidat socialiste à la présidentielle et, pour se démarquer d'une fin de règne calamiteuse pour la gauche, il invoque en pleine campagne, au milieu d'un meeting, ce fameux « droit d'inventaire » qui fait, à cette occasion, son entrée dans le vocabulaire politique.
Le terme est pourtant ancien. Au XIXe siècle, le droit d'inventaire désignait en France la taxe que les producteurs de vin devaient payer sur leur stock, après inventaire. Dans sa version moderne et politique, le droit d’inventaire suggère donc ce moment où il faut passer à la caisse et faire le bilan de ce qui a marché, et moins marché.
Un an après la défaite de Nicolas Sarkozy, le temps semble venu pour un examen de conscience de la droite au pouvoir. Ce que suggère l’ancien ministre Laurent Wauquiez, dans une interview publiée ce mercredi par Le Point : « Soyons honnêtes, ne faisons pas semblant d’avoir tout réussi. »
« Quand on perd des élections, on ne cherche pas d’excuses »
C'est Roselyne Bachelot, ministre de Nicolas Sarkozy pendant 5 ans, qui avait tiré la première salve, au lendemain du 6 mai 2012. Facile, pour elle, au moment où elle se retirait de la politique pour se lancer dans une carrière d’animatrice télé... Elle est alors restée bien seule au sein d'une droite sonnée par la défaite. Mais depuis quelques mois, quelques voix timides se font entendre. On a eu l'ancien ministre Hervé Novelli, l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, suivi de François Fillon. « Quand on perd des élections, on ne cherche pas d’excuses », lançait le mois dernier lors d’un meeting retentissant l’ancien « collaborateur » de Nicolas Sarkozy. « Nous avons agi dans l’urgence, trop souvent au coup par coup, sans aller toujours au bout des changements nécessaires et attendus. »
Depuis, les langues se délient. Hervé Mariton, Patrick Deveidjan, Laurent Wauquiez... Un groupe de travail conduit par deux parlementaires se met aussi en place. Des initiatives isolées qui s'appuient toutes sur ce raisonnement : comment redevenir crédible aux yeux de l'opinion si l'on n'est pas capable de reconnaitre nos erreurs ; le rejet de François Hollande ne suffira pas à gagner. Voilà comment le droit d'inventaire devient un devoir d'inventaire : il faut solder le passé pour préparer l'avenir.
Mais le droit ou le devoir d’inventaire compte aussi à droite de nombreux opposants. Et en premier lieu, le premier concerné, Nicolas Sarkozy, très rarement porté sur l’autocritique. Il y a, dans le droit d’inventaire, une dimension psychologique à ne pas négliger. Lionel Jospin, qui avait revendiqué ce droit d'inventaire à l’égard de François Mitterrand, se montrera beaucoup plus crispé, après 2002, quand d’autres socialistes réclameront à leur tour un inventaire des cinq années passées à Matignon, suivies de la défaite à la présidentielle.
Gare au crime de lèse-Sarkozy
C'est un exercice douloureux pour des hommes politiques dont l’orgueil n’est pas le dernier trait de caractère. Aujourd'hui, à l’image de Ségolène Royal qui parlait en 2007 de sa « non-victoire », Nicolas Sarkozy est persuadé qu’il aurait pu gagner, et que le faible écart du second tour avec François Hollande est en soi une victoire. La question du droit d'inventaire reste donc largement taboue à l'UMP. Une omerta qui ne dit pas son nom. Pas de crime de lèse-Sarkozy : il s'agit de ne pas écorner la figure sacrée à droite de l'ancien président.
Personne, ou presque, n'ose se mettre en travers du chemin de celui qui pourrait de nouveau être candidat en 2017. Et la plupart de ceux qui s'essaient au droit d'inventaire prennent bien soin d'épargner leur ancien mentor. Laurent Wauquiez, dans son interview au Point, met en garde contre tout « procès stalinien de Nicolas Sarkozy ». Le chef de file de « La droite populaire » veut que ce droit d’inventaire porte sur les 10 ans de la droite au pouvoir. Sarkozy, oui, mais aussi Chirac – même si d’une certaine manière, Nicolas Sarkozy, le candidat de la rupture en 2007, avait déjà fait l’inventaire du chiraquisme.
Le droit d'inventaire, comme stratégie de rupture : c'est ce que fait François Fillon, candidat plus ou moins déclaré pour la présidentielle de 2017. Il s’agit d’entonner, certes à voix feutrée, le refrain de la rupture. Pour prendre date, se démarquer. Ce qui lui a attiré la réplique cinglante de Nicolas Sarkozy : « Il faut être fier de ce que nous avons fait ensemble, François. » Voilà tout l’enjeu et toute la difficulté pour François Fillon : s'émanciper d'un bilan dont il est lui-même comptable, puisqu'il était Premier ministre. A moins de reconnaitre que pendant 5 ans il n’avait aucune influence sur la conduite de son gouvernement.