Par Elsa Landard
Tout part d’une erreur de législation. En 2004, Dominique Perben, alors ministre de la Justice du gouvernement Chirac-Raffarin, promulgue un décret sur les conditions d’application des prescriptions de peines. Ainsi, la prescription peut-être remise en cause par les « actes ou décisions du ministère publique » ou par ceux « du juge de l’application des peines ».
Par exemple, pour un crime, la peine doit être exécutée au maximum vingt ans après la condamnation (cinq pour un délit, trois pour une contravention) avant qu’il y ait prescription. Ce dispositif concerne principalement les condamnés absents lors de leurs procès. Avec le décret de 2004, le délai de prescription pouvait être prolongé par un acte judiciaire (mandat d’arrêt, demande d’extradition, etc).
Seulement, ce décret n’a aucune valeur sans loi. Seule une loi pouvait revenir sur les conditions de prescription. C’est en 2012 que la chancellerie s’en rend compte et décide d’y remédier. Michel Mercier, dernier garde des Sceaux du gouvernement Sarkozy-Fillon, ajoute une disposition dans la loi sur l’exécution des peines. L’erreur est corrigée deux mois avant l’élection présidentielle.
Des détenus potentiellement libérables
A l’époque, aucune mesure n’est prise pour les personnes incarcérées par application du décret entre 2004 et 2012. Ce sont elles qui sont concernées par l’imbroglio juridique. Gilbert Minassian en fait partie. Ce Franco-Arménien condamné à la perpétuité en 1989, alors qu’il était en cavale, a obtenu gain de cause auprès de la Cour de cassation. L’interruption du délai de prescription de sa peine, définie par le décret de 2004, a été annulée par un arrêt du 26 juin 2013, qui juge le décret « nul et non avenu ».
Son cas devra faire jurisprudence. La chancellerie a donc entrepris de grandes vérifications au sein de toutes les juridictions. 3 499 dossiers doivent être examinés dans les 36 cours d’appel. Depuis le début de l’été, les parquets généraux doivent examiner des « personnes condamnées et écrouées au-delà du délai de prescription de la peine ». A ce jour, dix cours d’appel ont été examinées, soit 628 condamnations. Seuls quatre détenus, dont les peines sont délictuelles et non criminelles, sont concernés. Ils ont donc été remis en liberté.
Les syndicats de magistrats dénoncent un problème connu de longue date
Pour Françoise Martres, présidente du Syndicat de la Magistrature, « les politiques n’ont rien fait en 2012 alors que le problème était connu, et aujourd’hui on vient reprocher à Christiane Taubira d’appliquer la loi et les décisions de justice ». Pour Christophe Regnard, président de l’Union syndicale des magistrats, les politiques doivent prendre leurs responsabilités. « Ces dernières années, dès qu’il y a eu des problèmes, on a stigmatisé les magistrats (…) Aujourd’hui, c’est la preuve que tout le monde peut faire des erreurs », analyse-t-il.
Selon M. Regnard, il n’y aura pas plus d’une dizaine de personnes libérées. « Mais c’est déjà trop, considère-t-il. Ce sont des personnes qui sont en prison alors qu’elles ne devraient pas y être et qui sortiront sans aucun suivi ». Ces personnes ayant été détenues en application d’une peine qui n’aurait pas due être exécutée, elles sont donc libérées de toute obligation par rapport à la société. Ni la police, ni la justice ne pourront opérer un suivi régulier.
CHRISTIANE TAUBIRA CONTRE-ATTAQUE
La garde des Sceaux contre la droite, l'affiche est désormais un classique en France, notamment depuis le long débat sur le mariage et l'adoption pour les personnes de même sexe. Après une nouvelle polémique, le week-end passé, sur le nombre insuffisant de places dans les prisons, et les conséquences induites par ce problème, l'affaire révélée par Le Canard enchaîné ce mercredi a donné l'opportunité à la ministre de la Justice de retourner l'habituel procès en laxisme asséné par la droite à l'encontre de la gauche.