Vincent Baudriller: «Un rêve de dix ans»

« Le théâtre qu’on défend est un art vivant qui se nourrit du monde. » C’est la dixième et dernière édition du Festival d’Avignon qu’il dirige comme co-directeur. Avec leur concept d’« artiste-associé » - qui fait appel à l’intelligence collective, au partage et au foisonnement interdisciplinaire - Vincent Baudriller et Hortense Archambault ont fait entrer le Festival dans le 21e siècle. Avec l’ouverture ce 5 juillet de la FabricA d’Avignon, le nouveau lieu de répétitions et résidences artistiques, ils ont donné le coup d’envoi du Festival 2013 et enraciné la création au sein de cette ville qui, depuis des décennies, se transforme chaque été en capitale théâtrale de l’Europe et cette année même en capitale africaine. Entretien. Première partie.

Votre dernier Festival d’Avignon est lancé. Un bilan des derniers dix ans ?

Ce n’est pas encore tout à fait un bilan, parce qu’il y a encore un festival à faire et chaque festival est une immense aventure. Là, on ouvre la 67e édition et il y a encore une grande traversée à faire. Si on regarde les neuf années qui précèdent, avec Hortense Archambault qui co-dirige avec moi le festival, on a essayé de questionner le théâtre, d’utiliser la force symbolique du Festival d’Avignon pour interroger la nécessité du théâtre, d’ouvrir le sens du théâtre, de ne pas enfermer le théâtre dans une définition étroite. Chaque année, on invitait un artiste associé différent pour réfléchir d’une façon différente, essayer de mettre en questionnement la vitalité du théâtre d’aujourd’hui, sa nécessité et proposer aux spectateurs les formules les plus contemporaines et vivantes du théâtre.
 
A la tête du Festival, vous avez traversé une époque bouleversante. La décennie était marqué par l’après 11-Septembre, puis il y a eu la grève des intermittents, l’édition « choc » de Jan Fabre, la crise financière et économique planétaire qui perdure… Cette année vous avez invité le premier artiste africain associé. Est-ce qu’il y a des mots, des gestes, des images que vous associez spontanément à votre bilan ?

De voir 2 000 spectateurs à 4 heures du matin, dispnibles et prêts à entrer dans la Cour d’honneur du Palais des papes pour un spectacle d’Anne Teresa De Keersmaeker, c’est bouleversant. Quand on voit des jeunes enlacés à moitié endormis qui ont passé toute la nuit dans la Cour avec Wajdi Mouawad, ce sont des émotions très fortes. Quand on voit le public se lever après la première de Josef Nadj et Miquel Barceló sur Paso Doble, alors que, deux ans auparavant on avait posé la question à Josef Nadj : « De quoi tu rêves ? » et il avait dit : « De rentrer dans un tableau de Miquel Barceló ». Deux ans après cela se passe et il y a un accueil incroyable. La semaine dernière quand j’ai vu une personne se réveiller après la première nuit passée dans le nouveau lieu de résidence, la FabricA, qu’on a construit, là aussi, il y a un rêve de dix ans qui se réalise avec l’ouverture et les premiers artistes en résidence qui ont dormi dans ce lieu.

Avez-vous l’impression que le théâtre a autant changé que la France, l’Europe et le monde qui l’entourent ?

En ce qui concerne le théâtre qu’on défend à Avignon, oui. Le théâtre qu’on défend est un art vivant et un art qui se nourrit du monde, qui parle du monde et qui prend la parole d’une façon singulière et étrange pour donner à voir le monde dans lequel nous vivons d’une façon différente. L’année dernière la question de l’économie, de la crise financière était très importante, je me rappelle du spectacle « Die Kontrakte des Kaufmanns » de Nicolas Stemann, d’après le roman d’Elfriede Jelinek. Cette année est celle de l’ouverture à une nouvelle génération d’artistes qui travaillent dans des grandes villes d’Afrique d’aujourd’hui et qui ont un point de vue et une parole qu’on n’a peut-être pas l’habitude d’entendre sur les plateaux. Je pense que le Festival d’Avignon doit être ouvert sur le monde, ouvert sur les grandes questions politiques du monde et de toute façon, ce sont les artistes qui s’intéressent à ces questions-là qu’on met en avant au Festival.

 
Lire la deuxième partie de l’entretien : Vincent Baudriller: « Ce n’est pas un portrait artistique de l’Afrique »

 

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