Avec Dieudonné Niangouna et Stanislas Nordey, vous avez choisi deux artistes associés de deux villes, de deux pays, de deux continents différents qui se rencontrent. En quoi consiste cette « urgence du dialogue » dont vous avez parlé ?
Ces dernières années, le monde a beaucoup changé. Les relations entre les artistes africains et européens aussi. Il y a une nouvelle génération d’artistes qui travaillent dans des villes en Afrique et ont grandi à la fois dans des régimes postcoloniaux, dans des grandes difficultés politiques, économiques et sociales, dans des guerres pour certains comme au Congo. En même temps, ils ont grandi en voyageant dans le monde, avec Internet, des téléphones portables et ont un rapport au monde différent. C’est cette jeunesse-là que je veux faire entendre au Festival. Créer un nouveau dialogue entre cette jeunesse d’Afrique qui crée, produit et invente et les artistes et le public d’Avignon, me semblait très important, parce que le monde change et l’Afrique change. Il y a une émergence de quelque chose de nouveau qui va arriver bientôt. Je pense qu’ils sont porteurs de cette chose-là. C’est de cela qu’on voulait témoigner avec la programmation du Festival et en créant ce dialogue entre Stanislas Nordey et Dieudonné Niangouna.
Quelle est la spécificité et la force unique de ces auteurs et artistes africains présents à cette édition ? Qu’est-ce qu'ils donnent au Festival ?
Ce n’est pas l’Afrique qui est invité au Festival d’Avignon, ce sont quelques artistes qui sont là parce que ce sont des artistes intéressants et passionnants qui sont en train d’inventer leur langage pour parler à leur manière du monde. Ce n’est pas une tentative de faire un portrait artistique de l’Afrique, mais donner la parole à quelques voix singulières qui viennent rejoindre d’autres voix singulières qui sont dans la programmation. La force de Dieudonné Niangouna, de la danse de De LaVallet Bidiefono ou de Faustin Linyekula ou des installations de Brett Bailey de l’Afrique du Sud, c’est de prendre la parole avec des points de vue différents. Certains s’intéressent plus aux relations entre l’Europe et l’Afrique dans l’histoire. D’autres parlent de l’humain en général comme dans Shéda de Dieudonné Niangouna, d’autres cherchent des points plus précis dans l’Histoire comme Faustin Linyekula. Mais à chaque fois, il y a une grande colère sur l’état du monde et un grand espoir à travers cette force, cette énergie, ce besoin de trouver de nouvelles formes de prendre la parole. Cette énergie va se retrouver dans l’ensemble du Festival. Elle repose sur la colère et cet espoir de dire qu’ensemble on peut changer les choses, bâtir et construire des choses nouvelles. C’est cela qui va résonner dans le Festival et c’est cette parole-là venant de ces artistes qui viennent des grandes villes d’Afrique qui va être importante dans cette édition.
Avez-vous l’impression qu’avec leur force et la force de leurs mots, avec leur conviction et leur rage, ces artistes africains sont déjà en train de changer quelque chose dans leurs pays africains respectifs ?
Je pense que le théâtre ne change pas le monde, le théâtre peut aider à prendre conscience qu’on peut changer le monde. Ces paroles libres et fortes, cette capacité qu’ils ont à se dresser et à avoir le courage à prendre la parole, cela peut faire bouger les choses. Et cela peut donner aussi du courage aux uns et aux autres de se lever et de prendre la parole. C'est comme cela que les choses changeront.
Lire la première partie de l’entretien : Vincent Baudriller: «Un rêve de dix ans»