RFI : Le grand public est sans doute étonné par cette affaire. Mais vous, au sein de la police, est-ce que vous êtes surpris par ces révélations ?
Nicolas Comte : Pas véritablement puis que nous pouvions nous douter qu’à l’époque, des rémunérations en liquide existaient. Mais le fait que nous ne soyons pas complètement surpris n’enlève pas le caractère choquant de ce système, que des fonctionnaires, finalement, puissent toucher une partie de leur rémunération en liquide et que ça échappe ainsi – j’allais dire, à l’impôt – c’est évidemment quelque chose qui est anormal.
Qu’est-ce qui vous choque le plus dans cette affaire ? Est-ce que c’est le montant des primes accordées au directeur de cabinet du ministre, ou le fait que de l’argent habituellement réservé à des enquêtes ait pu atterrir sur le compte d’un haut fonctionnaire ?
Non, je crois que le plus choquant, c’est que de l’argent destiné à des missions de police, de l’argent liquide, puisse servir à des rémunérations des hauts fonctionnaires. S’il y a des rémunérations qui doivent être données à des gens qui ont des qualifications importantes, ces rémunérations doivent être transparentes. Elles doivent figurer sur une fiche de paie et être imposables.
Les frais d’enquête et de surveillance, c’est de l’argent liquide qui est destiné à un travail de police. Le travail de police, quelquefois, doit être discret. Donc, pour cette discrétion, il est nécessaire d’avoir de l’argent liquide. Mais ça ne doit pas servir à autre chose.
Soyons précis, cette caisse qu’on appelle la « caisse des frais de police » a une existence tout à fait légale ?
Ça a une existence tout à fait légale. Il y a un montant qui est voté par le Parlementqui avoisine les dix millions d’euros sur l’année 2013. Cette somme est dévolue à un certain nombre de choses, et notamment la rémunération des informateurs, l'achat et la fourniture de la police en équipements extrêmement confidentiels ou extrêmement spéciaux, mais elle sert également au défraiement d'un certain nombre d’enquêteurs. Quand vous menez une surveillance, si vous suivez quelqu’un, eh bien vous pouvez être amené à voir des dépenses qui vont être dédommagées de cette manière-là.
Expliquez-nous, de manière très concrète, comment cela fonctionne. On parle de dix millions d’euros par an. Comment cette caisse est-elle utilisée ? À quoi cela sert, très concrètement ? Quel est le mécanisme ? Vous, par exemple, est-ce qu’on vous a donné de l’argent liquide ? Et par quelle voie ça passe, tout simplement ?
Il y a très longtemps, effectivement, au début de ma carrière quand j’avais un poste en service actif, avant d’être syndicaliste à plein temps. Je me souviens de la première fois où j'avais été choqué. Nous avions effectué l'interpellation d’un individu recherché pour des braquages et j’avais été appelé chez mon supérieur hiérarchique, qui m’avait remis une enveloppe dans laquelle il devait y avoir, je crois à l’époque, 100 francs. J’avais été particulièrement surpris de ce mode de rémunération.
Mais le problème, c’est qu’aujourd’hui je ne peux même pas vous dire précisément comment ça marche, puisque finalement c’est un système assez opaque. Les chefs, les directeurs départementaux de sécurité publique touchent des enveloppes qu’ils sont chargés d’utiliser, mais il n’y a pas de contrôle, à mon avis, suffisant.
Un système très opaque, effectivement. Tout cela est à la discrétion de la hiérarchie, on l’a bien compris. Le journal Libération nous racontait ce matin que dans les grosses affaires comme celle de la traque d’Yvan Colonna, par exemple, certains flics peuvent toucher jusqu’à plusieurs milliers d’euros. Je crois qu’on parle de 23 000 euros pour les hommes de la police judiciaire (PJ) ?
Moi, je n’ai pas connaissance de policiers qui auraient touché 23000 euros de manière individuelle, en tout cas de la base que je représente. Le problème, il est bien là.
Il y a effectivement des rémunérations ou des récompenses qui sont données. Quand il y a eu des enquêteurs qui ont par exemple travaillé pendant 48 heures sur une affaire, fait des heures supplémentaires - des heures qui ne sont pas payées, et la plupart du temps, ne sont pas récupérées -, il peut y avoir alors des primes, mais qui vont avoisiner les 50, 100, 150 euros, grand maximum. Donc, les dix millions d’euros ne partent pas là-dedans.
Le problème de tout ça, c’est que, s’il y a un système et s’il y a des primes, et s’il y a des rémunérations, cela doit être transparent. La totalité de l’argent liquide qui peut circuler au ministère des l’Intérieur doit pouvoir être traçable, même si cette traçabilité peut être secrète. Je veux dire dans le cadre d’opérations qui n’ont pas à êtres connues du grand public.
Ceux qui défendent Claude Guéant aujourd’hui avancent qu’à l’époque - nous sommes donc en 2002-2004 - beaucoup d’affaires passaient par le cabinet du ministre Nicolas Sarkozy, et qu’après tout, c’était assez logique que l’argent transite par le directeur de ce même cabinet.
Je ne sais pas ce qui s'est passé à l'époque. J'ai appris que le ministre de l'Intérieur avait transmis le dossier au procureur de la République, et c'est éventuellement la justice qui devra faire le point sur cette affaire là. D'autre part, le fait que des fonds aient été remis au directeur de cabinet es-qualité, ça ne veut pas dire que le directeur de cabinet ait déposé ces fonds sur son compte en banque.
Le sens de notre demande, c'est surtout de faire le point sur la situation actuelle, parce que, si des situations comme celles-ci ont existé, et lorsque l'on prend conscience du doute qu'ells ont pu jeté sur l'activité des services de police, il est nécessaire d'être certain qu'aujourd'hui il ne puisse plus y avoir ce genre de suspicions sur le travail des policiers.
Malheureusement - et c'est probablement anormal - je crois que pendant des années, les cabinets ministériels, et pas seulement à l'Intérieur, voyaient leurs hauts fonctionnaires rémunérés par une partie d'argent liquide, ce qui était assez bizarre.