France: Pierre Mauroy, l'autre visage de l'alternance

Pierre Mauroy n'était pas n'importe quel Premier ministre français. Il était un emblême du PS et de toute la gauche. Depuis l'annonce de sa mort, les réactions ont été nombreuses et unanimes. Le premier Premier ministre socialiste de la Ve République, premier chef de gouvernement de François Mitterrand, est décédé ce vendredi 7 juin à l'âge de 84 ans.

Pourquoi Pierre Mauroy était-il emblématique ? Parce que toutes les réformes marquantes des premières années Mitterrand, les promesses de la Section française de l'internationale ouvrière (SFIO) puis du Parti socialiste (PS) durant ses vingt-trois longues années d'opposition ont été mises en œuvre sous ce Premier ministre : suppression de la peine de mort, nationalisations, cinquième semaine de congés payés, semaine de trente-neuf heures, libéralisation des médias, retraite à 60 ans...

Quand, en 2010, la droite décide de repousser l'âge légal de départ à la retraite, Pierre Mauroy lève sa silhouette haute et massive, au milieu du Sénat où il siège encore, et dans sa voix grave, caverneuse, on entend des larmes. « Tout le monde ne l'a pas voulue, cette retraite à 60 ans. Mais nous, nous l'avons ardemment souhaitée ! Et désirée ! », confie-t-il dans l'enceinte du palais du Luxembourg, à Paris.

Le porte-parole de Mitterrand

Le parcours du jeune Pierre Mauroy ne pouvait l'amener qu'à devenir un homme de gauche. Petit-fils de bûcheron, fils d’instituteur, Pierre Mauroy est né dans le Nord ouvrier, à Cartignies, petite ville de corons et de terrils. Dans les congrès socialistes, il était connu pour raconter les grèves de mineurs, les faire revivre aux militants avec passion. Là aussi, parfois, avec des larmes dans la voix.

Aîné d'une famille de sept enfants, Pierre Mauroy est entré chez les socialistes par la petite porte. En 1945, il n'est qu'un simple adhérent des Jeunesses socialistes. Il prend le secrétariat général du mouvement quatre ans plus tard, en 1949. Puis, très vite, l’enfant de la classe ouvrière gravit tous les échelons : secrétaire général de la SFIO, cadre dirigeant du PS. En 1973, il fait ses premiers pas d'élu national. Pierre Mauroy devient député et maire de Lille.

En 1974, ce professeur dans l'Enseignement technique quitte définitivement les salles de cours et s'enracine encore en politique. Il devient président du Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais. Incontournable, il devient alors porte-parole de la campagne de François Mitterrand avant 1981. Il le sait déjà car le candidat lui a dit en secret : en cas de victoire, il pourrait être son Premier ministre.

Mauroy le rocardien

Toute sa vie, Pierre Mauroy s'est senti le représentant des classes populaires. En 2002, pendant la campagne présidentielle de Lionel Jospin, alors que ce dernier affirme que son projet « n'est pas socialiste », il n'hésite pas à s'indigner : « Mais enfin, " ouvrier ", ce n’est pas un gros mot ! » Le 21-Avril lui donnera raison.

Au-delà de ses racines populaires portées haut, Pierre Mauroy était aussi un homme chaleureux. Anicet Le Pors, l'un des quatre ministres communistes du gouvernement Mauroy - de 1981 à 1984 -, s'en souvient encore. « Un jour, un responsable communiste de la fédération du Nord, qui avait été hospitalisé, a vu arriver Pierre Mauroy, qui est resté trois heures avec lui, raconte-t-il. En partant, il lui a fait cadeau d'un stylo. On m'a dit à la suite de cela que ce militant communiste qui, sans doute, avait dû faire comme les autres, c'est-à-dire taper sur le Parti socialiste, eh bien chaque fois que la vie a conduit à ce type de situations, il a toujours dit : " Moi, il ne faut pas me dire du mal de Mauroy. Mauroy, c'est quelqu'un de bien ! " »

Et pourtant, Pierre Mauroy aura déçu les communistes. Même proche du peuple, il fut aussi un social-démocrate dans l’âme, issu d'une famille catholique. A ses débuts, le patron des socialistes de l'époque, Guy Mollet, le surnommait « le boy scout ». Avant d'accompagner François Mitterrand, M. Mauroy était un rocardien, du nom de l'adversaire du mitterrandisme au sein du PS, le héraut de la deuxième gauche Michel Rocard.

« Il était le plus grand »

Durant toute l'année 1983, le Premier ministre milite pour une pause dans les réformes, avant d’assumer pleinement le tournant de la rigueur. En 1984, c’est bel et bien son gouvernement qui restructure. Toute l'industrie en difficulté y passe : charbonnage, automobile, sidérurgie.

« Gros Quinquin », comme on le surnomme affectueusement dans le Nord, se confie alors : « C'est dramatique pour moi. » Comprendre : moi, qui suis né dans une ville de sidérurgistes…

Lorsque quelqu'un s'en va, les hommages, c'est assez classique. Mais pour Pierre Mauroy, on sent une affection particulière sur tout l’échiquier politique ou presque. En premier lieu à gauche bien sûr. « Une partie du cœur et de l'âme de la gauche s'en est allée », a dit Christiane Taubira, garde des Sceaux. « Il était et restera un géant », explique Martine Aubry, qui lui succéda à la tête de la mairie de Lille.

Le chef de l'Etat, François Hollande, depuis le Japon, a souligné que Pierre Mauroy « a servi la France dans des moments exceptionnels. Il a pris des mesures courageuses. » Mais à droite aussi, l’émotion est singulière. Son adversaire politique dans le Nord, l'ex-ministre UMP du Logement Marc-Philippe Daubresse, fait cet aveu étonnant : « J'ai eu la chance de rencontrer des grands hommes d'Etat à droite, comme Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac, mais incontestablement, le plus grand que j'ai rencontré dans une certaine intimité, c'est Pierre Mauroy. »

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