RFI : L'altercation mortelle de la gare Saint-Lazare est-elle un fait divers ou un fait de société ? Etant donné l'ampleur des réactions, on serait tenté de pencher pour la deuxième interprétation.
Erwan Lecœur : Oui, on voit très clairement que ce fait divers n’en est pas un, qu’il a une portée symbolique et politique. La société française, qui se sent fragile, a pris cet événement comme un choc. D’une certaine façon, elle voit là les suites des manifestations récentes, etc. Mais plus encore que cela, je parlerais d'une progression sensible des idées de l’extrême droite, au sens large du terme, dans notre société, et d’un divorce entre deux parties de la société. Et là, d'une certaine façon, on a un affrontement qui tourne très mal, avec un dérapage de la part des plus radicaux d’entre eux, les nationalistes révolutionnaires, si toutefois les informations sont bonnes, ce qui reste à vérifier.
Pourquoi les Jeunesses nationalistes révolutionnaires ne sont-elles pas d’ores et déjà interdites ?
Pour interdire un mouvement quel qu’il soit, il faut qu’il ait fait des choses répréhensibles par la loi. A chaque fois que s’est posée la question, par exemple, de l’interdiction du Front national ou de son service d’ordre dans les années 1990, il avait fallu une longue commission d’enquête pour démontrer qu’il enfreignait la loi à tel ou tel titre, ce qui n’avait pas été complètement démontré. Et donc, on n’avait pu interdire ni le Front national, ni un tas d’autres groupes qui se tiennent toujours, d’une certaine façon, à la frontière de l’interdit. Ils savent où sont les choses qu’ils ne doivent pas déplacer. Exemple : l’agression physique volontaire revendiquée par un groupe quelconque, évidemment. Et puis, interdire ces groupes ne change pas fondamentalement les choses. Ils n’ont pas d’existence légale, au sens où ils ne se présentent pas aux élections. Ce ne sont que des groupes d’appartenance dans lesquels des jeunes viennent trouver un discours politique à poser sur leur mal-être, sur leur volonté d’en découdre ou sur l’envie d’aventurisme politique. Les dissoudre, cela s’est déjà fait dans le passé, dans les années 1970 par exemple, mais cela n’a jamais réglé tout à fait le problème. Même quand on a dissous l’Unité radicale, le groupe de Maxime Brunerie - ce jeune homme qui avait tenté un attentat contre Jacques Chirac le 14 juillet -, plus tard les mêmes avaient refondé d’autres petits groupes dont les Identitaires. Peut-être que certains ont rejoint le groupe dont on parle aujourd’hui en priorité.
La police est-elle bien renseignée sur cette nébuleuse ?
C’est l'un des problèmes qui se posent aujourd’hui : apparemment, et beaucoup d’universitaires le disent, il y a eu un manque de ce point de vue. Ce n’était pas le cas il y a encore dix ans. Depuis dix ans, il semblerait qu’on ait beaucoup plus cherché des noises à une partie de l’extrême gauche. On se souvient par exemple de l’affaire Tarnac (Julien Coupat, avec d'autres membres d'un groupe d'extrême gauche, sont mis en cause dans le sabotage d'une ligne TGV en 2008, NDLR). On l’a vu aussi avec l’affaire du PSG. On a délaissé un certain nombre de gens : skinheads, mais aussi nationalistes révolutionnaires, néonazis, et tout un tas de groupuscules qui pullulent sur internet et de plus en plus dans les rues depuis quelques années. Il y a peut-être là un vrai problème qu’il faudra poser.