«Only Lovers Left Alive», les vampires sont l’avenir

Le réalisateur américain Jim Jarmusch signe son retour sur la Croisette avec un film de vampires mélancolique, Only Lovers Left Alive, en lice pour la Palme d’or. Tilda Swinton et Tom Hiddleston jouent un couple sublime de vampires sophistiqués qui se sentent vampirisés par la société. Un bilan inquiétant du monde actuel.

Adam et Eva, les deux héros de l’histoire, sont un peu blafards et pâles avec leurs lunettes de soleils noires qu’ils mettent quand ils sortent la nuit. Mais c’est normal. Ce couple fidèle s’inquiète du déclin de la société et du monde qui les entoure. Sinon ils sont comme tous les vampires, ils s'alimentent de sang humain. Une denrée qu'il est de plus en plus difficile de se procurer.

Tout commence avec des étoiles qui tournent de plus en plus vite en cercle, jusqu’au moment où l’on s'aperçoit qu’il s’agit en fait d’un vieux vinyle sur un ancien tourne-disque. C’est l’une des pièces-maîtresse de l’immense collection de raretés d’Adam, un vampire attachant, aussi distingué que nostalgique. Depuis des siècles, il est en couple avec Eva qui parcourt vingt livres par jours, profite de la vie et reste positive, malgré tout.

Des vampires vampirisés

Jim Jarmusch s’amuse à renverser les rôles dans la lutte entre le Bien et le Mal. Ce sont les vampires qui se sentent vampirisés par la société actuelle. Avec leur recul, vivant depuis plusieurs siècles, ce sont eux les derniers remparts contre la décadence et le déclin. Ce sont eux qui croient encore à la science, à la technologie, à la musique, à la littérature et à l’importance de la culture.

Peut-être à cause de cette inquiétude Adam adore composer de la musique funèbre. Il parle de la théorie d’Einstein et de l’intrication quantique comme d’autres de poissons rouges. En tant que musicien et compositeur passionné et érudit, il se permet parfois une petite liberté de faire circuler ses créations. Comme jadis, avec ce petit adagio qu’il avait donné à Schubert. Observateur privilégié de l’histoire de l’humanité, Adam lutte lui-même contre des pulsions morbides.

Les zombies


Quant à Eva, son activité préférée est de marcher, corps longiligne aux pas aérés, dans les ruelles de Tanger en direction du café Mille et une nuit. C’est là que son ami Christopher Marlow lui donne-rendez vous pour une livraison de sang frais. Lui aussi a son caractère. Il porte toujours la veste qu’on lui avait offert en 1586, et il déteste Shakespeare, qui a tout copié sur lui.

Bref, Adam et Eva se sentent de plus en plus mal à l’aise d'être obligé de vivre â côté de ces zombies, ces êtres humains qui ont peur de leur imagination et sont en train de détruire la culture, de polluer l’eau et, aujourd’hui, même leur sang.

C’est une mauvaise époque pour les vampires. Ils ne peuvent plus faire confiance aux gens mordus et sont obligés d’acheter à prix fort, et sous le manteau, du sang contrôlé à l’hôpital. Il n’y a plus ce plaisir du sang qui suinte des gorges des vivants. L’ivresse sauvage d’antan a cédé la place au sang délicatement versé dans des verres à liqueur ou sous forme de bâton glacé, parfum O négatif.

Avec délectation, Jim Jarmusch a choisi les villes romantiques et désolées de Détroit et de Tanger comme lieux de résidence de ses vampires. Tournées exclusivement la nuit, les images captent des endroits abandonnés. Surtout à Détroit, là où Adam vit sa passion pour la musique. C’est dans cette ville que les plus grands labels de l’industrie musicale américaine sont nés et que les plus belles voitures ont été construites.

Mais c’est fini. Comme tout le reste, cela aussi fout le camp. L’ancienne salle de cinéma a été transformée en parking. Même Jack White, l’un des pionniers de la renaissance du garage rock avec The White Stripes, a quitté Détroit. Et les tue-mouches poussent déjà au printemps.

Un film charmant et chamanique


Quand Ava, la petite sœur d’Eva, débarque à Détroit, un autre danger apparaît. Pour Adam, elle est déjà contaminée par la civilisation des zombies. Elle vit à Los Angeles, installe des idées dans la tête des autres, n’a pas peur de l’ail et n’arrive toujours pas à se passer d’un joli cou qui s’offre à elle. « Tu as bu Ian ? » « Oui, désolée ». C’était aussi pour cela qu’ils ne s'étaient plus vus depuis 87 ans.

Only Lovers Left Alife fonctionne comme les paraboles qu’Adam a installées dans son jardin pour intercepter les énergies qui traversent l’univers. C’est un film charmant et chamanique qui ne se regarde que partiellement avec la tête.

La musique joue son rôle : accompagner l’homme lors de sa traversée de l’histoire de l’humanité, comme les riffs métalliques de la guitare électrique, qui tâtonnent, à l'annonce de la fin. Au café, à Tanger, la chanteuse libanaise Yasmine Hamdan adoucit un peu la chute, inéluctable. Le dernier mot : « Excusez-moi », Adam et Eva l’adressent en français et avec les crocs bien visibles, à un jeune couple enlacé. C’est le chant du cygne de deux vampires.

 

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