«Michael Kohlhaas» torturé par Arnaud des Pallières

Cette histoire vraie du 16e siècle est simple et toujours d’actualité : la révolte d’un seul homme contre les privilèges et l’injustice à une époque où une plus grande liberté frappe à la porte. Avec la star Mads Mikkelsen dans le rôle titre, Arnaud des Pallières nous livre avec Michael Kohlhaas une adaptation exsangue et raide du roman du même nom, publié par l’Allemand Heinrich von Kleist en 1808.

Première image : les collines grandioses et austères des Cévennes qui nous accueillent avec majesté à l’écran. Apparaissent alors des chevaux d’une dignité et fierté incroyables. On est au 16e siècle, une époque où la Bible de Luther est en train d’ouvrir une brèche et où des révoltes paysannes donnent l’espoir d’une liberté possible.

Michael Kohlhaas est un marchand de chevaux pieux et intègre, sans soucis matériels. Il vit heureux sur sa propre terre, avec sa femme et sa fille. Jusqu’au moment où le nouveau baron lui réclame un droit de passage qui n’existe plus depuis longtemps. Obligé de laisser deux chevaux comme gages pour le dû, le baron lui rend les animaux dans un état pitoyable. Kohlhaas décide alors de s’attaquer à cette injustice et se découvre en milieu hostile : « Quand les cloches sonnent, ici, tout le monde se met en même temps à genoux. Ce ne sont que des Juifs et nous qui restent debout », déclare ce protestant convaincu et lecteur de Bible assidu. Kohlhaas ne reculera devant rien pour rétablir son droit.

L’univers de chevaux

Pour des raisons de scénario, Arnaud des Paillières a transposé l’histoire qui se déroule chez Kleist dans la Saxe allemande dans les Cévennes françaises. Et là, il s’appuie beaucoup sur l’univers des chevaux et la puissance de la nature abondante (le thème du cheval est décliné à l’infini : le cheval puissant, le cheval noble, le cheval blessé, le cheval humilié, le cheval restitué… On assiste même à la vraie naissance d’un poulain) pour souligner la droiture et la dignité dont se réclame Michael Kohlhaas. Hélas, les scènes avec chevaux deviennent aussi redondantes comme l’apparition répétée du (très beau) visage de Mads Mikkelson en gros plan serré.

Les dialogues surgissent parfois au milieu de nulle part sans s’inscrire dans un scénario valable : « Tu es un fanatique ? » lui demande sa femme qui signe sa mise à mort quand elle va déposer la plainte de son mari chez la princesse d’Angoulême. Ainsi, la guerre est déclarée, Kohlhaas vend sa propriété pour payer une troupe armée au service de la (sa) justice.

Le marchand de chevaux, avec son long sabre porté au dos à l’allure d’un samouraï, s’est juré de venger la mort de sa femme et de rétablir la justice. Mikkelsen, en langue française plus raide que d'habitude, joue avec fermeté ce héros qui défie l’autorité pour réclamer ses droits. C’est le chef d’œuvre des Sept Samouraïs de Kurosawa qui avait guidé Arnaud des Pallières pendant l’élaboration du projet.

Un film historique contemporain

Le film est conçu comme un film historique, mais tourné de la façon la plus contemporaine possible. Le résultat est souvent décevant, avec des scènes de nu qui arrivent comme un cheveu sur la soupe ou l’emploi d’une langue contemporaine qui efface la profondeur, l’ambiance littéraire et la narration directe de Kleist. On est parfois un peu perdu, quand  un Kohlhaas parle dans la langue d’aujourd’hui à un baron du 16e siècle.

Plusieurs personnages ont été créés de toutes pièces par Arnaud des Pallières, comme la fille de Kohlhaas et le jeune valet Jérémie, sans leur donner pour autant une véritable raison d’être. Car le récit et la camera restent braqués sur Michael Kohlhaas, avec un grand abus de gros plan sur le beau visage de Mads Mikkelsen qui en pâtit énormément. Idem pour Bruno Ganz et David Bennent, la fine fleure des acteurs allemands, qui restent totalement sous-exploités.

Rendre les armes au nom de Dieu ?

Même la dispute entre Michael Kohlhaas et un théologien (interprété par un Denis Lavant tellement mal introduit qu’il semble descendu du ciel) sur l’interprétation de la Bible reste désespérément pâle, malgré une interpellation forte : rendre les armes au nom de Dieu où combattre l’injustice au nom de la dignité ? Enervé, le pasteur lui refuse la paix de Dieux, parce que Kohlhaas ne cède pas, il continue à exiger que justice soit faite : les deux chevaux noirs devaient lui être rendus dans l’état d’origine : bien nourris et en parfaite santé.

Après avoir mis le pays à feu et à sang – raconté par Arnaud des Pallières sans la moindre tension dramatique - Kohlhaas obtient le verdict souhaité, mais au prix fort. Sous prétexte que quelques mercenaires n’avaient pas rendu leurs armes, Kohlhaas est accusé de soulèvement contre l’autorité et condamné à mort. Du message fort du livre de Kleist ne reste plus rien. Avec ses choix cinématographiques, Arnaud des Pallières a pratiquement opéré un changement du titre. Le livre révolutionnaire a été transformé en un film anodin, intitulé « Les Chevaux de Michael Kohlhaas ».

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