En colocation pour passer de la rue à la réinsertion

A Paris, le centre Valgiros fait cohabiter depuis bientôt trois ans des personnes issues de la rue avec des bénévoles. Une colocation pas ordinaire qui permet à des hommes et des femmes en grande fragilité de se stabiliser pour mieux prendre un nouveau départ.

Pas un bruit. En cette fin d’après-midi, Valgiros paraît vide. La cour où, il y a deux heures encore, quelques résidents buvaient leur café en grillant une cigarette est désormais déserte. Derrière les portes closes de ce grand bâtiment blanc situé au cœur du 14e arrondissement de Paris, chacun vaque à ses occupations.

Dans le studio qu’elle occupe avec sa fille au rez-de-chaussée, Anne fait une lessive. « Il faut ensuite que je remplisse des papiers pour mon rendez-vous avec l’assistante sociale », s’excuse-t-elle. Dans la salle commune, Michel regarde la télévision en sourdine, zappant d’une chaîne à l’autre. « J’attends "Walker Texas Ranger" », chuchote cet ancien de la Légion étrangère. Près de lui, allongé sur un canapé, Fabrice, passé par les cuisines de Ducasse à Monaco, dort à poings fermés.

Les minutes s’égrènent. Valgiros s’anime doucement. Les uns rentrent du travail, les autres y partent, comme Marco, 62 ans, l’un des « pionniers » du centre. Après avoir tenté d’esquiver les questions, il consent à raconter sa vie ici, où il habite depuis près de trois ans. « La première semaine, j’ai dormi par terre alors que j’avais un lit à côté de moi. » Marco était patron avant. « J’avais une entreprise, j’habitais au Vésinet », raconte-t-il avec une pointe de fierté. Marié trois fois, il a été veuf trois fois. « La troisième fois, j’ai pété les plombs. »

« Une renaissance »

Marco évoque les squats, le travail au noir. Puis son arrivée à Valgiros à l’été 2010. « Une renaissance », dit-il. « Ici, j’ai appris à redevenir un citoyen ». « Dans la rue, on vit au jour le jour. Les seules questions qu’on se pose sont de savoir quand on dort, quand on mange. » « Ici, on réapprend à faire les courses en vue du dîner. On n’est pas dans notre coin, on ne mange pas comme un singe. » Devant « Walker Texas Ranger », Michel écoute d’une oreille et opine en marmonnant.

Sur le site internet de l’association « Aux captifs la libération », qui a transformé cet ancien couvent en un centre d’hébergement en juin 2010, il est indiqué que Valgiros est un « CHS », un Centre d’hébergement de stabilisation. En clair : un lieu où des personnes en difficulté  -les « accueillis » comme on les appelle ici-, pour la plupart sorties de la rue, sont placées pour préparer leur réinsertion en réapprenant à prendre soin d’elles-mêmes et des lieux où elles vivent. Une sorte de sas de décompression. Ses résidents, eux, parlent d’un « paradis ». A Valgiros, ni gardien ni couvre-feu. « On peut tout faire… Sauf casser les murs », rigole Adrian, 25 ans, qui habite là avec ses parents, arrivés de Roumanie il y a trois ans.

Trente-deux personnes peuvent y vivre, dont un tiers de bénévoles. Avocate, dirigeant d’entreprise, employée de ministère, écrivain, étudiant, ils ont signé un contrat d’un an renouvelable pour un loyer de 300 euros par mois. Pour ce prix-là, ils sont logés et nourris. Une aubaine au regard du marché locatif parisien, mais qui n’est pas sans contrepartie. Car ces bénévoles sont la pierre angulaire du fonctionnement du centre. Leur rôle : être des repères, des éléments de stabilité.

Une présence permanente

Cette mission demande une réelle discipline. « Il faut être exigeant avec soi-même, montrer l’exemple », affirme Guilhem. Ce doctorant en mathématiques a emménagé à Valgiros il y a quatre mois. « On ne peut pas se permettre de se laisser aller, comme on pourrait le faire dans une colocation classique. Sinon, on n’aide pas les autres », explique-t-il.

Dans les trois appartements où ils sont répartis, les bénévoles se relaient pour assurer une présence permanente. Ils discutent, conseillent, écoutent. « On se confie plus facilement à eux qu’aux travailleurs sociaux, remarque Valérie, une quadra aux cheveux blond platine. Parce qu’eux ne sont pas ici pour toucher un salaire à la fin du mois. » Les repas sont pris en commun. Un partage des tâches est mis en place pour les courses et le ménage. Les bénévoles travaillent de concert avec les salariés de l’association à qui ils rapportent les progrès de chacun, si celui-ci a commencé à reprendre des douches ou si celle-là a rétabli le contact avec sa famille.

Mais, face à des personnes en grande fragilité et des comportements qu’ils n’ont pas appris à gérer, les bénévoles reconnaissent qu'ils se retrouvent parfois désemparés. « Vivre ici est une mise à l’épreuve. Ce n’est pas mon petit monde à moi avec ses codes et mes amis », note ainsi Pascale. « Des petits riens peuvent prendre des proportions énormes. C’est très difficile de ne pas céder aux tensions, de garder du recul », admet Guilhem.

Les « accueillis » restent en moyenne deux ou trois ans à Valgiros. Certains en sortent avec un travail et un logement, d’autres partent à l’aventure ou retournent dans la rue. Ce soir-là, Nolwenn fait le tour des étages pour dire au revoir à tout le monde. Après quatre mois passés ici, elle s’apprête à partir dans le sud de la France avec son « fiancé ». Les adieux sont émouvants. A chaque fois le même conseil : « Si ça ne va pas, tu reviens ici, surtout ! »

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