C’est par un code d’accès qu’Im Sang-Soo nous ouvre son film. Un jeune et bel homme, montré de dos, passe la porte métallique et pénètre dans une salle où s’entassent des cartons, débordants d’argent. Un vieux monsieur lui conseille : « Tout le monde le fait. Goûte-le aussi ». Le jeune prend alors quelques liasses, les renifle et les embrasse avant de remplir deux valises et de s’en aller. Bienvenu dans la vie de Young-jak, secrétaire de Madame Baek, dirigeante d’un puissant empire industriel coréen.
« Vous êtes une petite tâche sale »
Le long métrage est une longue descente dans l’univers impitoyable de l’argent, du sexe, du pouvoir et des castes. « Vous ne seriez jamais à notre niveau. Vous êtes une petite tâche sale ». Voilà ce qu’entend Young-jak lorsqu’il conteste une fois l’autorité des ayants droits de cette oligarchie des plus riches.
Lui, il est amoureux de Nanni, qui déteste qu’il fasse des courbettes pour la saluer. Mais pour ne pas perdre son boulot, il couche avec la mère de la fille, sa patronne. Sur les draps en satin rouge, le dégoût est palpable, mais encore plus l’ambition d’une carrière dorée.
« L’argent propre n’existe pas »
Dans ce monde, « l’argent propre n’existe pas ». La morale non plus. Et cela n’est pas seulement un choix, mais surtout une obligation. Quand le mari de la patronne (« il ne vient pas de notre milieu ») veut la quitter pour une bonne de la maison, la fin ne peut être que tragique en chantant une sonate de Schubert dans une baignoire.
Dans L’ivresse de l’argent, le point de vue de la caméra reflète aussi la hiérarchie sociale et la beauté crève l’écran. Il y a les stars de la jeune génération coréenne : le très populaire Kim Kang-woo joue le rôle du secrétaire privé Young-jak, l’actrice-mannequin Kim Hyo-jin incarne Nami, la fille. Et puis toutes les interprètes des soirées fines avec des prostituées. Mais il y a surtout la jolie maison décorée avec de très beaux tableaux et sculptures (de Jim Dine, Erro, Arman jusqu’à Hong Kyoung-tack, Hwang Se-joon ou Noh Jae-woon) qui contrastent avec le mode de vie pourri de ces riches et cyniques. Quand ils parlent à table de leurs prochains crimes, corruptions ou trahisons, il s’y trouve toujours des grands vins. La caméra tourne souvent autour des protagonistes. Le film s’arrête aux questions essentielles. La seule valeur qui prévaut parmi ces riches, c’est le mépris : « Tu imagines la Corée sans nous ? » « Impossible ».
Le Berlusconi coréen
Avec des scènes à la fois très épurées et grandioses de corruption et de soirées « bunga-bunga », le réalisateur fait volontairement allusion à la situation de la Corée du Sud où l’ancien président a souvent été comparé à Silvio Berlusconi. Il nous livre aussi une sorte de suite de son film The Housemaid, présenté à Cannes en 2010. Nami n’est personne d’autre que la jeune fille qui avait aspiré à la noblesse de cœur en respectant aussi les personnes d’une autre classe sociale.
Dommage qu’Im Sang-soo perde à la fin un peu le fil de cette histoire si bien racontée en transformant ce monde pourri, cette addiction à l’argent, en une simple comédie humaine beaucoup moins convaincante. Ce qui reste est la première partie : la grande fresque emblématique de la société coréenne contemporaine.