Tim Burton l'avait voulu, mais c'est Jean-Pierre Améris qui l'a fait : adapter au cinéma le roman de Victor Hugo en faisant le choix du récit initiatique. « C’est un roman qui est situé au 17e siècle en Angleterre. Ce que je n’ai pas fait. J’ai tiré cette histoire vers le conte, vers la fable. C’est un roman qui est fait d’énormément de digressions philosophiques, historiques, poétiques. Moi, j’ai tout voulu recentrer sur ce personnage de Gwynplaine auquel je m’étais identifié adolescent. Cela part d’un enfant abandonné comme le Petit Poucet. On va le suivre, recueilli par un bon saltimbanque, puis devenant un acteur célèbre, puis découvrant qu’il était d’un milieu riche, changeant de classe sociale. »
« Il n’est pas naïf »
Ce garçon recueilli par un forain, c'est Gwynplaine, défiguré enfant par une vilaine cicatrice qui lui barre le visage comme un sourire, transformant son visage en masque grimaçant. Son refuge c'est la scène, mais Gwynplaine, l'idéaliste, va se brûler les ailes en pensant être accepté par son milieu aristocratique d'origine. « Il est très naïf, il se laisse aveugler beaucoup par la beauté, par tout ce qui brille, raconte le jeune premier canadien, Marc-André Grondin, alias Gwynplaine dans L'Homme qui rit. En même temps, il n’est pas naïf, parce qu’il se trouve à voir toute la pauvreté, la cruauté qu’il y a dans ce royaume. Il se retrouve aussi à défendre les pauvres, à essayer de créer un éveil chez les parlementaires, chez les riches. »
« C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches… »
L'Homme qui rit, écrit au 19ème siècle, apparaît donc d'une incroyable actualité, en abordant les thèmes de l'obsession de la beauté ou du chômage. Gwynplaine interpelle les parlementaires et assène : « C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches… » Jean-Pierre Améris a gardé les mots de Victor Hugo : « Il fait un discours, on dirait qu’il parle de notre société actuelle, de la crise actuelle. Jusqu'à dire l’épuisement des pauvres est horrible, le chômage partout. Plein de spectateurs me disent : ‘Mais c’est vous qui a rajouté le mot chômage ?’ Alors qu’il est dans le livre ! J’ai même eu un doute. Je suis rentré chez moi, j’ai relu le livre pour être sûr que ce n’est pas moi ou le scénariste qui l’avons rajouté. Non, c’est dans le livre de Victor Hugo. »
Gérard Depardieu incarne Ursus le forain au grand cœur
Des thèmes d'une troublante actualité. De même que l'emploi de Gérard Depardieu, bon dans le rôle d'Ursus le forain au grand cœur. Côté mise en scène, Jean-Pierre Améris choisit d'accentuer l'effet fabuleux ou onirique, convoquant Fellini et Cocteau : « Ayant passé ma vie au cinéma, cela remontait : Les Enfants du paradis, La Belle et la Bête, Le Casanova de Fellini. C’est plus qu’un hommage, c’est remonté à la source. Tim Burton rêvait d’adapter cet Homme qui rit, mais s’en est beaucoup inspiré pour Edouard aux mains d’argent, comme beaucoup de cinéastes américains, comme les créateurs de Batman qui s’en sont servis pour faire le Joker. » Jean-Pierre Améris respecte donc l'esprit du roman baroque et par moments surréalistes et naïf de Victor Hugo.