«Par nature», le rayonnement du «tout-monde» au Centquatre

Le Centquatre à Paris est devenu un Beaubourg de proximité qui rayonne au-delà des frontières. Actuellement, le rayonnement se fait « par nature », l’exposition qui ouvre la nouvelle saison du centre culturel de la ville de Paris. On y trouve une pelouse composée de pommes, une lettre géante sous forme d’herbes qui poussent sauvagement, un jardin de fleurs fragiles et illuminées dans le noir total… Derrière tout cela, il y a une tête pleine d’idées nommée José-Manuel Gonçalvès. Directeur du Centquatre depuis deux ans, il a réussi à faire marcher ce mille-pattes culturel rempli d’initiatives artistiques sur 29 000 mètres carrés. Sa recette magique ? Tout simplement appliquer le concept philosophique-littéraire du « tout-monde » d’Edouard Glissant dans un quartier sensible de Paris. Entretien.

À la dOCUMENTA (13)  à Kassel, il y avait plein d’œuvres immergées dans la nature, lors de la réouverture du Palais de Tokyo à Paris, on m’avait parlé d’un « Central Park artistique », Fabrice Hyber nous surprend avec ses Matières premières et maintenant vous présentez au Centquatre l’exposition collective d’art contemporain par nature. Est-ce que la culture et l’art deviennent de plus en plus « naturels »?

Ce qui est sûr qu’il y a un thème qui existe aujourd’hui et qui traverse la société. C’est cette question de la nature et le rapport qu’on essaye d’avoir avec la nature. Parfois, il existe une ambiguïté à laisser croire à tous que le bonheur serait un retour à la nature ou au naturel. Il me semblait que cela valait le coup d’inviter des artistes à présenter les œuvres qui interrogent cette question : quel rapport a-t-on avec la nature? Ce qui est intéressant avec les artistes, c’est qu’il y a toujours une dimension assez éloignée du réel, mais avec une vraie emprise sur les questions du citoyen. Les œuvres qu’on présente ici, ce sont des œuvres avec différentes approches de la nature : philosophique, politique, poétique, sociologique... L’idée est qu’il y ait une possibilité pour les citoyens de ne pas simplement s’interroger sur la question du rapport à la nature à travers des idées reçues, souvent livrées par les grands médias, mais qu’ils viennent aussi sur des choses plus intimes, même si elles sont monumentales comme ici. Donc d’avoir un rapport avec les œuvres des artistes, avec les visions d’artistes.

Quand vous définissez le rôle du centre culturel Centquatre, vous évoquez le « tout-monde » d’Edouard Glissant. Pourquoi?
 

Vous pouvez constater cela presque tous les soirs avec le public que nous accueillons ici. On essaie de créer des projets tout au long de l’année qui font que, à un moment, on sait que les différentes sociologies et les différents types de public – professionnel et amateur- vont trouver une occasion à venir ici. En tout cas, ils auront une raison à venir au Centquatre. Cette idée, le « tout-monde », comme disait Edouard Glissant, c’est une accumulation de singularités artistiques qui rencontrent des singularités de populations et de publics. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas forcément de chercher la fusion et le mélange, mais au moins qu’il y ait du côtoiement, qu’il y ait de la présence, qu’il y ait le plaisir d’être dans un espace commun. Rien que cela. Et de voir après comment cela agit. Et tout cela par une convocation des artistes et de l’art. Ici au Centquatre, on convoque le « tout-monde » au sens d’Edouard Glissant et de Gilles Deleuze aussi.

Vous êtes depuis deux ans le directeur du Centquatre. A votre arrivée, le centre s’est retrouvé avec 500 abonnés et trois millions d’euros de dettes. Deux ans après, vous avez enregistré plus que 500 000 visiteurs au Centquatre. Quelle est la recette de votre succès?
 

Tout d’abord, d’avoir des artistes qui ont envie de s’investir et inviter beaucoup d’artistes à travailler ici. C’était la première chose. On ne fait pas un lieu sans projet. Ici, avant moi, malheureusement, la démonstration a été faite que cela ne suffit pas à concevoir un beau lieu pour que les gens viennent. Un lieu doit être habité par un projet. Un lieu artistique et culturel est tout d’abord habité par des artistes. Et puis, considérer que les espaces qui sont ouverts sont autant de plateaux possibles pour des pratiques spontanées, des pratiques que la population invente le temps d’ouverture du lieu. Donc il y a des espaces professionnels et des espaces pour le « tout-monde ». Et ces espaces, on peut les traverser, mais on y peut aussi jongler, danser du hip-hop, faire du théâtre. La recette est de faire en sorte qu’il y ait du contenu et du coup, le public a quelque chose à voir, à entendre, avec une vraie singularité à chaque fois. Les singularités des différents publics s’additionnent aux singularités des artistes. Cela crée ce mouvement que l’on connaît aujourd’hui au Centquatre. Ce n’est pas une recette, mais cela paraît presque comme une évidence aujourd’hui. Quand il y a du contenu, quand il y a une générosité, une équipe formidable derrière qui croit dans sa responsabilité sur ce territoire, il y a des fortes chances que cela fonctionnera.

Lors de l’ouverture, le projet du Centquatre semblait de devenir un « Beaubourg de proximité ». Mais où êtes-vous aujourd’hui avec le rayonnement international du Centquatre?
 

Beaubourg est en effet une vraie réussite artistique et d’intégration aussi dans la cité. On a rajouté des éléments à ce que Beaubourg tente de faire, c’est-à-dire d’avoir une population qui, même quand elle ne pratique pas l’art, est dans le lieu, et ne franchit pas uniquement le seuil pour voir de l’art. C’est une des choses qui se passent ici. Mais j’accepte volontiers cette comparaison flatteuse avec ce grand frère qui est Beaubourg, même aujourd’hui, on décline des choses d’une manière différente.

Et le rayonnement international ?

Aujourd’hui, il n’y a pas une délégation qui vient de l’étranger qui ne vient pas ici visiter le lieu et qui maintenant nous invite à l’étranger pour développer des modèles proches du Centquatre. Il s'agit souvent des friches. En gros, entre le modèle qui a fait –faussement- rêver à Berlin où l’on disait c’est formidable, il y a des friches, les artistes font un travail et tout se passe bien. Au final, on se rendait compte que, très vite, ces espaces étaient souvent privatisés par des artistes qui empêchaient d’autres artistes à y travailler. De l’autre côté, il y a quelques grandes institutions qui se renferment et présentent toujours les mêmes artistes. Il fallait inventer un entre-deux. Aujourd’hui, on est effectivement invité partout dans le monde pour inventer à partir de friches, il en existe malheureusement beaucoup, vu l’évolution industrielle et économique. Et donc de recycler ces lieux avec une dimension proche du Centquatre. On l’a fait à Berlin, on part à New York bientôt, on va en Afrique du Sud, à Bilbao. Il y a des choses qui se passent. Mais encore une fois, soyons modestes. D’abord, il faut qu’on développe une ébullition, une effervescence intérieure pour que cela puisse après aller vers l’extérieur et aller vers des reproductions. Mais il faut toujours créer des fondations extrêmement fortes. J’ose espérer qu’on a, après deux ans, des fondations assez fortes et solides pour aller à l’extérieur, mais on va y aller doucement.

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Par nature, jusqu'au 17 mars 2013 au Centquatre, Paris. Exposition collective avec les œuvres de Christophe Beauregard, Céleste Boursier-Mougenot, Gu Dexin, Moataz Nasr, Hema Upadhyay, Joana Vasconcelos et Zimoun.

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