Justice française : la chancellerie impose sa nouvelle philosophie

La garde des Sceaux Christiane Taubira a présenté, ce mercredi 19 septembre, en Conseil des ministres, sa circulaire de politique générale pénale. C'est un véritable virage judicaire qui est proposé au chef de l'Etat et au gouvernement. Il ressort de ce texte que la nouvelle ministre de la Justice ambitionne de stopper l'escalade du tout répressif : elle veut moins de prison et une institution judiciaire plus indépendante.

Souvenez-vous, il y a cinq ans, Rachida Dati promettait la tolérance zéro. La sévérité était son mot d'ordre. Après ces années où l'accent était mis sur la répression, la nouvelle garde des Sceaux, Christiane Taubira, choisit de prendre l'exact contre-pied de cette politique sécuritaire. Car la ministre socialiste a pris ses fonctions avec une population carcérale qui atteint un niveau historiquement haut : plus de 66 000 détenus pour 57 000 places de prison. Une situation qui provoque un taux de suicides record en Europe et compromet le travail de réinsertion.

La ministre écrit donc aux procureurs pour leur préciser que le recours à l'incarcération doit désormais être limité aux situations qui l'exigent strictement. Une nouvelle ligne politique qui va dans le bon sens, estime Mathieu Bonduelle, président du Syndicat de la magistrature : « Ce qui traverse toute cette circulaire, c’est l’idée forte d’individualisation du processus judiciaire, à tous les niveaux. Dans la manière de juger, dans les peines qui sont prononcées et dans l’aménagement des peines, c’est une très bonne idée, prévue dans notre droit. Mettre l’accent sur ce point était absolument urgent. »

Eviter l’automaticité des peines

Christiane Taubira demande donc aux procureurs de tenir compte de la situation « personnelle, sociale et économique » afin d'éviter toute peine automatique. Il s'agit pour le moment, de contourner les peines planchers, mesure phare du quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Du côté des syndicats policiers, on crie au scandale. Le syndicat Alliance, plutôt à droite, affirme que les délinquants vont être épargnés. Frédéric Lagache, son porte-parole, soutient que cette politique va saper le travail des policiers : « Ce schéma de nouvelle politique pénale n’est pas sérieux. Nous avons besoin, pour faire diminuer la délinquance dans ce pays, que la justice nous accompagne dès que l’on a identifié les individus, dès que l’on a rassemblé des preuves et qu’on les a présentées à la justice. On ne peut pas, nous, arrêter des gens et [voir] que derrière il y ait une politique pénale qui les libère. Ce n’est pas possible, dire le contraire c’est mentir aux citoyens. »

Privilégier les aménagements de peines

La satisfaction est de mise, en revanche, du côté des directeurs de prison. Ces derniers rappellent que la surpopulation carcérale favorise la récidive. Selon Jean-Michel Dejenne, premier secrétaire du Syndicat national des directeurs de prison, le travail des policiers ne devrait pas souffrir de ce changement de cap : « Le travail de la police ne sera pas vain dans sa lutte contre la délinquance si une personne arrêtée n’est pas condamnée à une peine d’emprisonnement ferme. D’autres mesures seront mises en œuvre, cela ne signifiera pas qu’il y a impunité. »

Consigne est donc donnée de systématiser les aménagements de peine, tel le travail hors-les-murs ou encore le placement sous bracelet électronique.

Plus d’instructions individuelles aux procureurs

Sur un plan plus général, la ministre de la Justice précise aussi, dans sa circulaire, que les procureurs ne recevront plus d'instructions individuelles.

Finie l'interférence des politiques dans les affaires judiciaires : Christiane Taubira réitère cette vieille promesse. Depuis longtemps, les syndicats de magistrats plaidaient pour une véritable indépendance du parquet, rappelle Mathieu Bonduelle : « Il faudra revoir le statut du parquet. C’est évoqué un peu en passant dans la circulaire. C’est très bien mais il faudrait l’écrire dans la loi d’une part, et d’autre part, il faudrait revoir le mode de nomination de ces procureurs. Il faudra que ce projet soit rapidement mis en œuvre et il faudra aller plus loin que ce qui est dit pour l’instant. Faire en sorte que le Conseil supérieur de la magistrature, indépendant du pouvoir exécutif, nomme directement les procureurs comme aujourd’hui il nomme les présidents de tribunaux. »

Paradoxalement, si la garde des Sceaux déclare vouloir desserrer le lien entre la chancellerie et le ministère public, elle précise cependant que les procureurs généraux continueront d'envoyer des rapports au ministre. Une exigence qui ne manque pas d’étonner Mathieu Bonduelle : « Il y a un véritable angle mort dans la circulaire : c’est qu’on ne remet pas en cause ce rôle d’informateur des procureurs et des procureurs généraux. Ce rôle peut se justifier en partie, mais pas autant que cela, c'est-à-dire pas sur toute affaire un tantinet sensible ou qui est susceptible d’intéresser le gouvernement… On a bien compris qu’on allait continuer comme avant, avec des rapports, qui sont lus très attentivement au niveau du gouvernement. Donc il faut couper le lien entre les parquets et l’exécutif et ainsi on aura fait un grand pas pour l’indépendance de la justice. »

Cette circulaire, présentée ce matin en Conseil des ministres, n'est qu'une orientation. Il faut désormais que cette politique prenne corps au travers de lois, et pour le moment aucun calendrier n'est donné.

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