«Comme un souffle de liberté» à la Fête de l’Humanité

A l’occasion de la grande Fête de l’Humanité qui a lieu du 14 au 16 septembre à La Courneuve près de Paris, une vingtaine d’artistes issus du monde arabe interrogent le passé, le présent et le futur du désormais légendaire Printemps arabe. Les moyens artistiques mis à contribution dans l’exposition Comme un souffle de liberté s’avèrent très divers : il y a le collage-dessin chez Abdelaziz Zerrou, Hamid Tibouchi exprime des paroles tissées, Massinissa Selmani fait usage du papier millimétré, Wassim Ghozlani illumine des « light-paintings », d’autres, comme Tarik Essalhi et Nidhal Chamekh, nous intriguent avec une représentation de martyrs contemporains ou du soulèvement des opprimés. Loin du concept-marketing du label « Printemps arabe », l’exposition adhère au concept du « Tout-Monde » du grand poète Edouard Glissant. Entretien avec Marc Monsallier de la galerie Talmart, qui organise l’événement.

La plupart des artistes exposés sont issus du monde arabe, mais vivent et travaillent à Paris. Est-ce le Printemps arabe vu de Paris ?

Non. Beaucoup vivent à Paris, mais ils vivent aussi là-bas, ils viennent de là-bas, ils ont des liens très étroits. Il y a beaucoup d’allers et retours. Ils sont très impliqués – comme certains Tunisiens exposés ici - dans ce qui se passe actuellement. D’autres ont des difficultés à rentrer chez eux. Certains sont effectivement à Paris, mais ils sont très concernés aussi.

Dans les œuvres exposées, ressent-on la réaction conservatrice et islamiste qui règne aujourd’hui dans beaucoup de ces pays concernés du Printemps arabe ?

Oui, notamment chez ceux qui vivent et produisent dans leur pays d’origine. Ceux-là sont directement affectés, parfois même attaqués par les islamistes. C’était aussi le cas d’une exposition en Tunisie [le « Printemps des Arts » au palais Abdellia de La Marsa, dans la banlieue de Tunis, ndlr] où il y avait des fausses informations qui ont circulé et qui ont créé une certaine agressivité. La temporalité de la création artistique est quand même très différente. L’artiste ne réagit pas immédiatement à ce qui se produit. Finalement, la liberté de création se développe un peu plus tard, influencée par ce qui s’est produit dans les Printemps arabes. Ils peuvent être attaqués directement par les mouvements conservateurs, mais chez l’artiste se produit un travail intérieur. On s’aperçoit que les questions de liberté de création, de censure, d’autocensure, sont en train de se déplacer en fonction de ce qui s’est produit avec les avènements des démocraties.
 

Aujourd’hui, on a souvent le sentiment que le souffle de liberté règne surtout dans les œuvres d’artistes arabes présentées en Occident. Est-ce que ce souffle est de plus en plus coupé dans les pays du monde arabe ?

Je crois qu’on se trompe. Quand on va dans les pays concernés, ce n’est pas du tout ce qu’on éprouve. Effectivement, ils sont attaqués, la liberté est sans cesse attaquée, mais elle l’est partout, aussi dans les démocraties. Les artistes vont vraiment au devant, ils se battent pour la liberté. Ce n’est pas parce qu’il y a une révolution et un dictateur déchu que tout est acquis et la liberté est installée.

Votre galerie suit l’art du monde arabe depuis l’ouverture de la galerie en 2007. Comment l’art du « Printemps arabe » a-t-il impacté l’art occidental ?

Ces révolutions sont les révolutions d’une génération plutôt jeune qui pratique tous les outils des réseaux sociaux. Donc on est déjà dans un universel. Les artistes arabes aujourd’hui utilisent un langage universel. Ils ont gagné en visibilité. Le dialogue est très facile entre les artistes issus du monde arabe et les artistes du monde occidental. Il y a un langage commun, il y a un apport mutuel. Les artistes traitent des notions universelles : le déplacement, les questions de visa, les misères, les injustices, des notions qui concernent tout le monde, et bien au-delà de leur pays. Ils le font en apportant des aspects qui leur sont personnels, qui sont propre à leur culture lorsqu’il s’agit de l’islam. C’est un apport religieux qui est important.

Le « Printemps arabe » est-il devenu un label pour mieux vendre les œuvres sur le marché de l’art ?

Evidemment. C’est peut-être un peu opportuniste d’utiliser ce label. Mais il y a une chose intéressante : certains artistes se sont libérés à partir des printemps arabes. Par exemple, on connaissait très peu les artistes tunisiens. Grâce au « Printemps arabe », ils sont devenus à la mode, ils sont devenus visibles et on en rencontre qui nous intéressent franchement, qui nous auront intéressés en dehors du Printemps arabe. Maintenant, il est évident que l’actualité et les médias font et défont certaines modes. Là, c’était très utile pour nous qui en travaillons déjà depuis plusieurs années.

Vous évoquez aussi le « Tout-monde » d’Edouard Glissant. Pourquoi ?

Quand je parle du « Tout-monde », c’est l’idée qu’on va vers quelque chose de beaucoup plus universel. Là, il s’agit du monde arabe. Les traces sont assez claires, mais c’est pour tirer les œuvres vers un propos qui puisse concerner et toucher le monde entier ou un monde bien plus élargi. Si on ne se comprend pas, c’est plus idéologiquement que culturellement. Aujourd’hui, des artistes venant du monde arabe, asiatique, européen, américain, arrivent à communiquer au-delà de leur apport culturel. C’est cela aussi le « Tout-monde ».

____________________________
Comme un souffle de liberté, exposition, du 14 au 16 septembre à la Fête de l’Humanité, au Parc départemental Georges-Valbon à La Courneuve, France.

Partager :