Accueilli favorablement Place Beauvau, Manuel Valls est en train de prendre ses marques et se construit peu à peu une stratégie, plutôt sensée et réfléchie : se déplacer de façon ciblée, là où est la plus attendue la parole du nouveau ministre de l'Intérieur, sans pour autant donner le tournis à tout le monde ; prendre la température auprès des innombrables syndicats maison et lancer des ballons d'essai sans pour autant brusquer les représentants des 250 000 policiers et gendarmes de France ; reprendre un à un tous les dossiers pour en dégager une ligne de conduite globale et cohérente, sans empiéter sur les prérogatives du Premier ministre ni revenir sur les engagements du candidat Hollande.
Un travail de forçat et de dentellière tout à la fois. Manuel Valls a beau jouer sur du velours depuis sa nomination, il n'est pas pour autant à l'abri d'un faux pas. Ses atouts ? Pouvoir s'appuyer sur un cabinet salué pour son professionnalisme, sur les conseils de son ami Alain Bauer et sur son expérience d'élu à Evry. Il n'empêche, chaque pas doit être mesuré avec prudence et déjà, certaines propositions font tiquer les policiers.
Vouvoiement et contrôle d'identité
Ainsi, si le ministre a insisté dernièrement sur la nécessité de pratiquer en toute occasion le vouvoiement, c'est parce qu'il estime nécessaire de réconcilier police et population. Ce qui passe à ses yeux forcément par l'élimination « des formes de familiarité ou de tutoiement qui dégradent les relations entre les forces de l'ordre et le citoyen ». Les policiers en étant la plupart du temps les premiers convaincus, toute la subtilité consistait ici à réaffirmer un principe sans que ce dernier ne prenne pour autant l'allure d'un rappel à l'ordre, pour le coup fort désobligeant. Essai transformé.
Avec les contrôles d'identité, l'exercice s'est avéré plus délicat. Pour mémoire, dans son programme, le candidat François Hollande avait inscrit la nécessité de lutter « contre les délits de faciès par une procédure respectueuse des citoyens ». Proposition numéro 30 sur les « 60 engagements pour la France », proposition largement inspirée par certaines associations de gauche comme AC Le Feu. Mais en lançant l'idée d'un récépissé nominatif délivré à l'issue de chaque contrôle, Manuel Valls a failli se mettre tout le monde à dos.
Les policiers considèrent en effet qu'il s'agit en soi d'une suspiscion intolérable envers leur intégrité et que cela risque de les mettre en danger dans l'exercice quotidien de leur métier. De son côté, la Cnil a aussitôt décrété cette mesure inapplicable dans la mesure où elle sous-entend la tenue d'un fichier informatisé, contraire à la loi.
Pour ce faire, coincé entre les engagements pris avant mai 2012 et réaffirmés par Jean-Marc Ayrault en personne, et la réalité du terrain, le nouveau ministre de l'Intérieur est en train de chercher furieusement un compromis intelligent : certains parlent d'un retour au matricule de l'agent, disparu en 1985. D'autres, de la remise d'une « carte de visite », indépendante d'une base de données. D'autres encore, de la présence de caméras embarquées dans les véhicules ou portées autour du cou... Toutes les idées sont désormais bonnes à prendre !
Des « zones de sécurité prioritaires » en septembre
En attendant, les policiers ont un peu perdu le sourire, et certains syndicats grincent carrément des dents. C'est sans doute pour cela que Manuel Valls s'est empressé de confirmer haute et fort l’abandon de la politique du chiffre, histoire de les calmer et de ne pas perdre l’avantage.
Il en a profité, toujours dans un souci d'apaisement, pour souligner la nécessité d'outils statistiques plus performants. Il a aussi demandé un audit pour vérifier la pertinence de la réforme engagée en 2009, et qui rattache depuis les fonctionnaires de la capitale comme ceux de la petite couronne à la préfecture de police de Paris.
Autant de gestes de bonne volonté avant d'aborder, en septembre, un dossier beaucoup plus complexe : la mise en place de « zones de sécurité prioritaires » dans les quartiers gangrénés par l'économie souterraine et les violences urbaines.