Pas d’état de grâce, pas de répit, Amnesty International n’a pas l’intention de laisser filer la corde au chapitre des droits de l’homme en France. Dans le viseur de l’organisation non gouvernementale, le sort réservé dans l’Hexagone aux migrants, aux demandeurs d’asile et aux Roms. « Aujourd’hui, nous attendons que François Hollande respecte ses engagements », a rappelé la présidente de l’ONG basée à Londres. « Nous sommes plutôt optimistes mais si les blocages continuent, nous serons là pour les dénoncer », a averti Geneviève Garrigos.
Violation du droit de circuler
Dans son rapport 2012, au chapitre de la France, Amnesty International estime que « les Roms étaient toujours en butte à des discriminations » après avoir constaté que « des campements et des abris de fortune habités par des Roms ont été démantelés cette année encore lors d’opérations qui semblaient être des expulsions forcées ». « Le 1er septembre 2011, entre 150 et 200 Roms ont été expulsés de force de leurs abris de fortune dans un campement de Saint-Denis, qui ont ensuite été démolis. Des policiers antiémeutes ont contraint les Roms à monter à bord d’un tramway sans leur dire où on les emmenait, ce qui constituait une violation de leur droit de circuler librement », peut-on lire dans le document.
Amnesty s’inquiète aussi de la situation pour la France des migrants et des demandeurs d’asile. Objet de préoccupation pour l’ONG, l’adoption en juin 2011 d’une loi qui a porté de 32 à 45 jours la durée maximale de la rétention des migrants en situation irrégulière. Autre motif de mécontentement, la liste des pays dits « sûrs » qui ne cesse de s’allonger. Cette appellation désigne depuis 2003 en France un Etat qui « veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’Etat de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Dix-huit Etats figurent sur cette liste parmi lesquels le Mali pour les hommes, l’Albanie, le Kosovo, l’Arménie, le Bangladesh, le Monténégro et la Moldavie… Pour les demandeurs d’asile ressortissants de ces pays dits « sûrs », leur demande est traitée selon une procédure accélérée (un mois contre quatre) en vertu de laquelle les demandeurs déboutés en première instance pouvaient être renvoyés de force dans leur pays avant l’examen de leur recours.
La situation actuelle, déjà difficile à la Cour nationale du droit d’asile qui traite ces demandes, se complique encore avec la grève des avocats depuis le 14 mai. Ce mouvement, expliquent les avocats spécialisés, a pour objectif de dénoncer une « politique du chiffre » menant à juger « de plus en plus d’affaires en un minimum de temps » avec comme conséquence une « dégradation du traitement des dossiers des réfugiés et des droits de la défense », déplorent les grévistes qui ont demandé à rencontrer la ministre de la Justice, Christiane Taubira.
Urgences
Cette absence de recours a d’ailleurs valu à la France une condamnation en février dernier par la Cour européenne des droits de l’homme. Cela dit, la présidente d’Amnesty International a rappelé que François Hollande s’était déclaré contre cette liste des pays d’origine sûrs. « On a bon espoir d’obtenir que cette liste disparaisse », a dit la présidente d'Amnesty International France Geneviève Garrigos qui assure vouloir œuvrer rapidement auprès des ministères concernés pour faire valoir les attentes d’Amnesty.
La question de l’immigration s’est imposée dans la campagne présidentielle et personne ne doute qu’il en sera de même pour celle des législatives. Au président Hollande et à son gouvernement de maintenir un juste équilibre entre des exigences de sécurité et la stigmatisation des étrangers. Parmi les priorités à traiter, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a déjà demandé le retrait de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers. Geneviève Fioraso a annoncé le 24 mai que la circulaire controversée serait abrogée « je l’espère, la semaine prochaine », a-t-elle précisé. Une nouvelle circulaire est en cours de finalisation dans les ministères de l’Intérieur, du Travail et de l’Enseignement supérieur, a ajouté la ministre.
Le texte de l’ancien ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, limite grandement depuis le 31 mai 2011 la possibilité pour des diplômés étrangers d’obtenir un poste de salarié à l’issue de leurs études. Sa suppression est pour la ministre Geneviève Fioraso une « urgence en termes humains mais aussi en termes de rayonnement et de partage de la connaissance ».
Quel ministère pour l’immigration
Tout ce qui touche la politique migratoire est rattaché depuis fin 2010 au ministère de l’Intérieur. Cela « fait un lien entre immigration et insécurité », avait critiqué la députée socialiste Sandrine Mazetier, un reproche repris à maintes reprises au PS. Or, à peine installé, le nouveau ministre de l’Intérieur Manuel Valls a fait savoir qu’il entendait conserver l’immigration au moins jusqu’aux législatives. Mais si cela durait, un certain nombre d’associations des droits des étrangers ont déjà déclaré que le gouvernement de gauche enverrait ainsi un bien mauvais signal en confiant par exemple les naturalisations au « ministère de la police ».
D’ici là, Manuel Valls estime que « la gauche a un rôle historique à jouer pour répondre au besoin de sécurité tout en se préservant de toute dérive autoritaire et sécuritaire ». Affirmant qu'il n'y aurait ni « angélisme », ni « course au chiffre », ni « stigmatisation », il n'a pas précisé cependant s'il maintiendrait les objectifs d'expulsion des immigrés en situation irrégulière fixés par Nicolas Sarkozy à ses ministres de l'Intérieur successifs.
Quant au président François Hollande, il a écarté toute idée de régularisations massives, précisant qu'elles continueraient à se faire au cas par cas, en maintenant le chiffre actuel d’environ 30 000 par an, mais sur des critères « précis » et non à la discrétion des préfets. Pour ce qui concerne l'immigration économique, François Hollande compte en revanche la limiter pour cause de croissance économique faible. Il propose que le nombre de professionnels étrangers souhaités soit fixé à la suite d'un débat annuel au Parlement.