RFI : Vous êtes Français mais vous vivez à Tokyo et vous veniez de publier Fukushima, récit d’un désastre. C’est le premier anniversaire de cette catastrophe. Ca veut dire que vous l’avez écrit très vite ?
Michael Ferrier : Oui, il y avait une urgence àtémoigner et aussià essayer déjà de penser cet évènement qui restera en partie impensé. Il y a quelque chose de l’ordre de l’irrationnel dans dedans. Mais tout de même, si on a été un peu submergé non seulement par le tsunami, mais aussi par un déferlement d’images, j’ai pensé que les mots, la littérature, pouvaient aussi apporter quelque chose pour décrire le phénomène Fukushima, cette triple catastrophe, mais aussi pour essayer de la penser déjà.
RFI : C’était le 11 mars 2011, un vendredi. Il faisait beau. Il était quelle heure ?
M. F. : Il était trois heures moins vingt, quelque chose comme ça.
RFI : La secousse a duré plus de deux minutes. Vous parlez d’un frisson au départ, d’un simple frisson ?
M. F. : Un frisson qui s’est transformé très vite en tremblement. Mais deux minutes, c’est très long. J’habite au Japon depuis vingt ans et j’ai vécu un bon nombre de tremblements de terre, mais là non seulement la magnitude était exceptionnelle, de magnitude 9, mais on l’a sentie à Tokyo évidemment mais encore plus dans le Nord. Mais surtout, deux minutes, c’était interminable.
RFI : Et vous avez été sous la table ?
M. F. : Et j’ai plongé sous la table.
RFI : Parce que ce sont les consignes de sécurité au Japon.
M. F. : J’obéis aux consignes, surtout que j’étais en charmante compagnie, donc c’était encore mieux (rires).
RFI : C’est un bon souvenir ? Non on ne peut pas vraiment dire ça comme ça ?
M. F. : Non. C’est un bon souvenir… C’est quand même un moment où les cinq sens se sont mis à contribution. Tout d’un coup, la réalité, le réel revient de manière extraordinaire, frappante. Et je dirais même qu’il y a presque un sixième sens qui se met en activité, parce que là vous êtes vraiment d’abord dans une position où vous pensez que vous pouvez mourir, même si cette possibilité est toujours un peu impensable. Et puis vraiment, c’est une manière d’ouvrir la perception. Le tremblement de terre, c’est ça d’abord.
RFI : Vous témoignez de ce tremblement de terre et des jours qui ont suivi puisque vous avez été jusqu’à Fukushima. Dans ce livre Fukushima, récit d’un désastre. C’est écrit au présent.
M. F. : Oui.
RFI : Pour quelles raisons ? Parce que vous l’avez écrit au présent ? Ou parce que vous voulez nous mettre dans la situation de celui qui vit ?
M. F. : Les deux. Evidemment je l’ai écrit au présent. Je l’ai écrit sur les routes, je l’ai écrit en camionnette. Après, je l’ai repris un peu à Tokyo et à Paris, de manière plus calme. Mais effectivement, c’est écrit dans l’urgence. Et aussi parce qu’il faut arriver à faire sentir aux lecteurs ce qui s’est passé. Et le présent me semble effectivement tout à fait approprié. Et puis, il faut le dire aussi : un tremblement de terre, c’est aussi un tremblement du temps. Il y a quelque chose qui bouleverse les calendriers, les repères. Et le présent, la sensation très vive d’être là, d’être présents au moment de la catastrophe, c’est quelque chose d’inoubliable.
RFI : Quand vous évoquez le passé, c’est pour citer des auteurs qui ont déjà témoigné à leur façon de tremblements de terre au Japon. C’est Paul Claudel en 1923 et c’est aussi un texte de 868, Les annales des trois règnes, qui répètent inlassablement « La terre trembla, la terre trembla, la terre trembla » comme si finalement il n’y avait rien d’autre à dire ou à écrire.
M. F. : Exactement, parce qu’au bout d’un moment, les répliques portent bien leur nom : elles se répètent sans arrêt et ça devient effectivement… Au bout d’un moment, il n’y a plus rien d’autre à dire que « la terre tremble, la terre tremble. Et qu’est-ce qu’on fait là ? Comment on va s’en sortir ? ».
RFI : Alors vous décidez de partir. C’est un peu fou quand même alors que beaucoup de Français, beaucoup d’expatriés quittent le Japon et d’ailleurs vous réglez quelques comptes dans ce livre. Vous, vous décidez de partir pour Fukushima et d’aller jusqu’à la zone interdite, les fameux 20 kilomètres. Pour quelles raisons ? Parce que vous êtes un peu kamikaze ou vous voulez vraiment comprendre ?
M. F. : Non pas du tout. Ce n’est pas une question… C’est un héroïsme d’abord très relatif. Il se trouve que j’avais un billet d’avion pour rentrer à Paris pour le Salon du livre le 15 mars, que je n’ai pas utilisé et que je garde un peu maintenant comme une relique. On me pose souvent la question : mais pourquoi vous êtes monté là-haut ? Je dois dire que cette question m’étonne un peu. La comprendre ? Bien sûr. Mais quand même elle m’étonne un peu parce que mois je vis au Japon depuis 20 ans et qu’est-ce que je pouvais faire d’autre que de monter là-haut ? Je ne me voyais pas partir, laisser les gens que j’aime, laisser des amis, des collègues, des amours etc… Et puis, il y avait aussi le sentiment…Je voulais être utile. Alors ça a été dérisoire. Il ne faut pas exagérer la manière dont j’ai porté secours. C’était une camionnette remplie de vivres et d’eau. Mais face à l’étendue du désastre, c’était quasi rien. En revanche, je pense que j’ai été peut-être plus utile finalement avec mon stylo et mon carnet en essayant de retracer le séisme, le tsunami et, ensuite, la catastrophe nucléaire.