L’événement est inédit et symbolise à lui seul l’évolution du marché de l’édition. Géant de la vente de livres papier en ligne et d’ouvrages numériques, Amazon fait son entrée au Salon du livre. Mais c’est en tant que fabriquant du Kindle, numéro un mondial des liseuses, que l’entreprise est présente pour cette 32e édition. Et pour une première, Amazon a décidé de frapper fort. La branche française de l’entreprise américaine dispose d’un vaste stand de 80 m² pour vanter au public les mérites de sa liseuse numérique, commercialisée en France depuis octobre 2011.
A entendre les démonstrateurs du produit, ses avantages sont nombreux. Pour Marie-Pierre Sangouard, directrice des contenus Kindle chez Amazon France, c’est l’outil idéal pour encourager la lecture. « Les lecteurs du Kindle achètent trois fois plus de livres. C’est tellement pratique, s’enthousiasme-t-elle en sortant une liseuse de son sac à main. Une fois qu’on a terminé un livre, on peut en télécharger un autre aussitôt ».
La liseuse d'Amazon n'est bien sûr pas la seule sur le marché français. On peut aussi citer Bookeen, Kobo ou Sony, également présents au Salon du livre.
La France, un marché difficile pour Amazon
Mais les ventes de ces liseuses peinent à décoller en France. La faute à un catalogue d’ouvrages numériques encore réduit – environ 55 000 titres – et à des prix peu avantageux. Si les livres tombés dans le domaine public sont disponibles gratuitement sur Amazon, les plus récents ne sont en moyenne que 25% moins chers que les éditions papier. « Les clients sont prêts à payer. Mais ils sont prêts à payer au prix juste. Ils savent que produire un livre numérique coûte moins cher qu’un ouvrage papier. Il faudrait que les prix soient compris entre 2,99 et 9,99 euros », affirme Marie-Pierre Sangouard.
Des objectifs tarifaires qui semblent encore loin d’être atteints. « Le marché français est compliqué, confie Marie-Pierre Sangouard. Il est à l’image d’un village d’irréductibles Gaulois qui résiste encore et toujours au changement. Mais Astérix n’existe plus et la France va devoir accepter de prendre le virage numérique ».
Certaines maisons d’édition ont pourtant déjà noué des partenariats avec Amazon pour la diffusion de leurs livres numériques. Une enquête publiée sur le site d’information Owni début octobre montrait qu’elles négociaient presque toutes – ouvertement ou en cachette – avec le géant américain. Laurent Laffont, directeur éditorial chez JC Lattès, au sein du groupe Hachette, y expliquait : « La position d’Hachette a été énormément critiquée par les spécialistes du secteur. Et là, revirement de situation, tout le monde a négocié avec Amazon. Mais tous savent que la part de marché réservée au numérique, avec l’arrivée du Kindle en France, va augmenter ».
Mais d’autres maisons refusent toujours de se soumettre à Amazon. Chez Gallimard, on dénonce les méthodes d’un « mastodonte » qui met toute son énergie au service du consommateur, au mépris des règles de l’édition. « Amazon veut imposer des prix cassés. Mais il ne connaît pas la structure économique d’un livre. Tout à 9,99€, ce n’est pas sérieux. Il faut respecter les droits d’auteur », soutient Yvon Girard, bras droit du PDG Antoine Gallimard. Même son de cloche chez Stock, où Jean-Marc Roberts martelait sur les ondes d’Europe 1 : « Le lieu unique, c’est la librairie, ce n’est pas la vente en ligne. La vente en ligne, je crois que c’est ça qui va peu à peu détourner le vrai lecteur de son libraire, et donc de la littérature ».
Les librairies menacées
C’est en effet sur les libraires que la menace Amazon semble être la plus pesante. Et dans les allées du Salon du livre, la présence du géant américain dérange. « Désormais, le numérique, c’est-à-dire le format dématérialisé, renverse la table et s’installe physiquement », déplore, la mine défaite, Claude Tarrène, directeur commercial de la librairie et maison d’édition Le Dilettante. « Qui peut égaler Amazon ? Il dispose d’une puissance colossale. Les libraires indépendants ne pourront continuer à exister que si on leur donne les possibilités de se maintenir, notamment en fixant des baux moins élevés », poursuit-il.
Yannick Poirier, propriétaire de la librairie Tschann à Paris, préfère quant à lui le prendre sur le ton de la plaisanterie : « Ama… quoi ? Amazone ? Comme les femmes nues qui montent à cheval et tirent à l’arc ? » Pour lui, le livre possède un caractère presque sacré que les lecteurs ne peuvent pas abandonner. Au contraire, même, il est persuadé qu’Amazon va permettre le développement du lectorat pour l’amener ensuite vers les libraires.
Un optimisme pas forcément partagé par Benoît Authier, de la librairie Gibert Joseph. S’il pense que les libraires ne sont pas voués à disparaître grâce à leur métier qui repose avant tout sur le conseil, il est parfaitement conscient du tournant que prend le marché de l’édition. « La numérisation est obligatoire. On ne peut pas s’opposer à une évolution logique de la technologie. Nous, les libraires, sommes exactement dans la même situation que les vendeurs de selles de cheval du début du XXe siècle lorsque l’automobile a fait son apparition ».
Pour aider ces librairies menacées, le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand devrait annoncer très prochainement le lancement d'une réflexion sur une taxation des acteurs de l'Internet. La France ne compte donc pas abandonner si facilement sa position d'irréductible face à la révolution de l'édition numérique.
__________________________
- Le site officiel du Salon du livre de Paris