Drancy, devant le lycée Eugène-Delacroix, onze heures du matin ; Juline et Christina sont assises devant la grille du lycée. Leur cours est annulé car leur professeur est occupé à établir les emplois du temps. Cet établissement est un très grand lycée de la banlieue nord-est de Paris. Et cet énorme lycée accumule, en cette rentrée scolaire 2011, toutes les difficultés.
Qui dit énorme lycée dit brassage démesuré d’élèves aussi bien dans les filières générales que techniques. Christina, Julie, Tressy, en mini-jupe et baskets, sont en seconde et terminale. Elles font part de leur inquiétude. « Les emplois du temps sont mal faits, on a 4 heures de permanence et 3 heures de cours. C’est inadmissible, on ne peut pas se permettre de perdre du temps, nous avons le bac à la fin de l’année ».
La rentrée des classes a d’ailleurs été retardée d'une semaine dans ce lycée de Seine-Saint-Denis. Officiellement, un bug informatique a empêché la préparation des emplois du temps. Mais pour les enseignants il s’agit en fait d’un manque de temps et de moyens.
A qui la faute ?
Les 14 000 suppressions de postes pèsent de manière évidente sur l’organisation de la rentrée. On a le sentiment qu'il faut faire appliquer coûte que coûte les réformes, or les enseignants n'ont pas les moyens de suivre la cadence. Par exemple, les élèves en classe de première ont droit à deux heures d'aide spécialisée mais les professeurs n’ont pas le temps de mener une réflexion collective sur ces enseignements. Le plus souvent, les enseignants sont accaparés par d'autres problèmes, souvent matériels, si l'on en croit leurs témoignages.
Un lycée « obèse »
Et dans un établissement plein à craquer comme ce lycée Eugène-Delacroix, classé en zone sensible, dans le 93, les difficultés sont décuplées.
Vincent est professeur de français. « On se heurte à un problème de gabarit du lycée, sa taille est critique mais cela fait partie de la politique de suppressions de postes. Plutôt que d’ouvrir un autre lycée, on surcharge celui-ci, sauf qu’il est en train de devenir obèse, ce qui pose des problèmes d’organisation et de sécurité ».
Le lycée est donc en sureffectifs et ce sont les élèves les plus en difficultés qui en pâtissent. Agnès enseigne l'histoire-géographie. « Notre lycée est classé en zone sensible et de ce fait, nous avons bénéficié d’un avantage : il n’y avait pas plus de 30 élèves par classe. Aujourd’hui, on fait cours devant 35 élèves. Les bons élèves tirent leur épingle du jeu mais nous avons parfois des élèves qui viennent de BEP et qui souhaitent passer un bac général. Ils connaissent parfois des difficultés mais on ne peut pas s’occuper de 35 élèves à la fois ».
Le mouvement de grève pourrait mobiliser un nombre record d'enseignants
Les Français sont inquiets, ils pensent vraiment que l'école est en danger.
De leur côté, les enseignants disent ne plus avoir les moyens d'exercer leur mission. Des dizaines de milliers de postes sont supprimés, des centaines de classes ferment et les nouveaux enseignants ne bénéficient plus de formation. On demande aux professeurs d'être performants, et puis surtout ils ne se sentent pas écoutés.
Rodolphe est professeur d'anglais au lycée Eugène-Delacroix. Pour lui, l'école républicaine est en train de mourir. « On tombe dans la théorie du complot : est-ce qu’on veut mettre à mal l’école publique afin de favoriser l’école privée ? Avec les suppressions de postes, on se rend compte que dans certains lycées, il n’y a pas, par exemple, de professeur de SVT (sciences et vie de la terre). Alors on oriente les élèves vers le centre d’enseignement à distance. C’est hallucinant. Cette remise en cause de l’école publique me fait peur ».
Les enseignants du lycée Eugène-Delacroix sont descendus dans la rue le 27 septembre 2011 pour manifester.