Ce n’est pas un tapis rouge, mais plein de petits tapis orange qui montrent aux amateurs de l’art primitif le chemin au bonheur. Chacune des galeries qui participent au Parcours des mondesaffiche ainsi la couleur. Le plus grand rendez-vous mondial de l’art premier nous offre des
centaines de pièces à couper le souffle : par exemple un effroyable masque tatanua de la Nouvelle-Irlande, une sublime cuillère de cérémonie en bois de la région de l’est des Grands Lacs américains, un collier de perles en or de Birmanie, des sculptures en cuivre et laiton du Congo…
Dans la vitrine de la galerie, le marchand belge François Coppens exhibe avec fierté une sculpture géante Tau-Tau de 1820 dans la vitrine. « Elle a été taillée dans du bois nanka, pèse 70 kilos et a une taille de 2 mètres 20. Elle vient de Célébes, une île d’Indonésie située à 300 kilomètres à l’est de Bornéo. C’est une pièce exceptionnelle. L’existence de ces sculptures Tau-Tau n’est pas très connue. Elles étaient placées devant la maison mortuaire du chef de village après sa mort. Moi, je n’ai jamais vu une telle sculpture Tau-Tau à la vente. » Prix : 30 000 euros.
Investissement ou passion ?
Les records de ventes et les prix astronomiques des dernières années, vont-ils continuer ? « L’art tribal n’est pas un investissement, mais une passion, tempère Pierre Moss, le directeur général du Parcours des mondes. C’est vrai que les prix ont augmenté, mais cela est vrai aussi pour la peinture, la sculpture, les livres, l’immobilier… Aujourd’hui, on voit une translation. Les collectionneurs d’art moderne et d’art contemporain ont commencé à s’intéresser à l’art primitif, ce qui a déréglé le marché. Il y a une disproportion flagrante entre un chef-d’œuvre africain et un chef- d’œuvre d’un Jasper Jons ou d’un Rothko. En art africain, on peut pour quelques centaines de milliers d’euros s’acheter l’équivalent d’une huile de Picasso. »
« Nous sommes redevenus le nombril du monde primitif »
Le Parcours des mondes fête sa dixième édition. « C’est une longue histoire, se souvient Anthony Meyer de la galerie du même nom et cofondateur du Parcours. Cela a démarré à l’initiative de quatre ou cinq marchands et Rik Gadella qui a été un organisateur de salon et des expositions. Nous avons eu tous la même idée au même moment. C’était une sorte de concordance des grands esprits qui se sont réunis autour de cette idée : fédérer les grands marchands de Paris en galeries et ramener les collectionneurs vers les galeries. Cela nous a pris six mois. Beaucoup de nos confrères n’ont pas cru en nous. Nous étions peu à faire cette première année. La deuxième année, je peux vous garantir, ils étaient 50 ou 60 à postuler. Nous avons réussi à rétablir le centre du monde de l’art primitif à Paris. Nous sommes redevenus le nombril du monde primitif. »
Aujourd’hui, pour une galerie, c’est devenu la plus haute distinction d’y participer. Et les collectionneurs passionnés remuent ciel et terre pour accéder aux galeries avant l’ouverture officielle. Antonio Casanovas de l’Arte y Ritual Gallery montre les plus beaux réceptacles du monde : coupes, bols, boîtes, paniers, transformés par l’art premier en œuvre d’art, dont cette coupe à divination du 19e siècle, venue de Nigéria. Elle montre la finesse dans la culture yoruba …et, derrière des portes normalement fermées, une scène d’accouplement. « Elle est unique au monde, assure Antonio Casanovas. Elle a une très grande qualité sculpturale. Cet objet a été gardé par Jacques Kerchache [le père spirituel du quai Branly] pendant toute sa vie. » Vous voulez connaître son prix ? Peu importe, elle a été déjà vendue !
Guilhem Montagut de la Galeria Montagut de Barcelone présente sa magnifique collection de sculptures sous le titre Ancêtres du Mali. Il espère bien profiter de l’enthousiasme suscité par l’exposition Dogon au quai Branly. « Cette merveilleuse exposition nous a poussés à présenter ici notre collection. Nos objets sont beaucoup plus humbles, mais des objets de qualité, très anciens et à des prix corrects. » Comptez néanmoins 85 000 euros pour une petite sculpture Djennenke du 13e siècle avec ses scarifications et son style archaïque.
Sacrifice - du sang et du sens
Pour les cinq jours du Parcours du monde, la galerie belge Joaquin Pecci, Tribal Art a mis sur pied une exposition et un catalogue digne d’un musée. Les pièces sont réunies sous le titre Sacrifice – du sang et du sens. L’ambiance mystérieuse qui règne s’explique par les patines croûteuses qui recouvrent les sculptures et masques venus du Mali, la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso. « Qu’est-ce qui rend sacré ces objets ? Ce sont justement ces patines successives de sang de poulet, de bière de mil, explique Hélène Robbe, qui font toutes références à des divinités mythiques qui viennent de la nature ou des esprits indomptables. Ils font peur, ils ont hideux. Donc, ils vont les adoucir, les amadouer pour être sûr que les hommes sont protégés, qu’ils soient bienveillants à leur égard, que les femmes et la terre soient fertiles. »
« 101 masques passeports »
Bruce Frank de Manhattan présente 101 masques passeports de Liberia et de la Côte d’Ivoire. Sculptés en bois, en métal et en pierre ils coûtent entre 400 et 5 000 dollars. « Ce sont des répliques en miniature des grands masques de cérémonie. Des talismans que les gens portaient pour profiter de la protection des esprits. »
L’art premier africain occupe toujours la première place au Parcours des mondes, mais l’euphorie des derniers dix ans a profité le plus à l’art océanien, remarque Pierre Moos, directeur général du Parcours des mondes et principal actionnaire du magazine Art Tribal : « Nous avons fait une enquête à travers le journal. Il y a 8 ans, il y avait que 10 pour cent des gens qui collectionnaient l’Océanie. Aujourd’hui on arrive à 35 pour cent. Beaucoup de personnes sont passés de l’Afrique à l’Océanie parce qu’on avait fait un peu le tour. »
Des propos qu’Anthony Meyer ne dément pas. Il est depuis longtemps l’un des rares marchands spécialisé dans l’art océanien. « Tout le monde s’est dit : wow ! Qu’est-ce que cet art qu’on connaît si peu, qu’on voit presque jamais. Il y avait que deux ou trois marchands spécialisé dans le monde. Et puis maintenant, beaucoup de mes collègues s’occupent de l’art océanien, spécifiquement ou avec l’art africain ou l’art du Sud-est. C’est devenu une normalité, c’est rentré dans la norme. » Cette année, Meyer montre un ensemble exquis de quatre ornements de flûtes de provenance de la Nouvelle-Guinée, rassemblé pour la première fois depuis 30 ans.
Ah oui, et l’actualité politique dans tout cela ? Est-ce que les printemps arabes ont influencé le marché de l’art premier ? « Non, cela n’a rien à voir » commente Pierre Moos. La crise en Côte d’Ivoire, a-t-elle eu un impact ? « Non, parce qu’il n’y a plus d’objets en Afrique » rétorque Hélène Robbe devant la magnifique sculpture baoulé. Le Parcours des mondes ne se laisse décidément pas influencer par le cours du monde.
- Pour retrouver les contacts des galeristes : le site officiel du Parcours des mondes
- Parcours des mondes, du 7 au 11 septembre à Saint-Germain-des-Prés, Paris.
Lire aussi:
Jim Ross, incontournable sur la scène de l’art premier africain, rfi, 7/9/2011