RFI : Visa pour l’image, c’est chaque année une réflexion en images sur le photojournalisme. Parlez-nous d’une photo ou d’un photographe qui représente bien la ou une réalité nouvelle du photojournalisme en 2011 ?
Jean-François Leroy : Pour moi, il n’y a pas de réalité nouvelle du photojournalisme. Moi, ce qui m’intéresse toujours, c’est la qualité du regard. Alors, on va me parler de révolution numérique. C’est vrai, elle a eu lieu, techniquement. Mais le fond du problème, la vérité du problème, c’est la qualité du regard que ces photographes jettent sur le monde. Pour moi, il n’y a pas de tendance nouvelle. Il y a des photographes de qualité qui ont changé dans leur technique, mais qui restent des photographes qui ont un regard personnel.
RFI : Vous montrez 26 expositions, presque toutes dominées par des catastrophes, des guerres, la misère, la prison… Est-ce toujours, inévitablement, le pain quotidien des photoreporters ?
J.-F. L. : Non, mais cette année qui a été particulièrement lourde dans l’actualité entre le Sud-Soudan, la Côte d’Ivoire, les printemps arabes, le tsunami plus la catastrophe nucléaire de Fukushima, en étant un festival de photojournalisme, je ne peux pas montrer autre chose que la réalité du monde. Ce n’est pas moi qui décide de cette violence de l’actualité.
RFI : Le reporter Issouf Sanogo nous donne un aperçu rare des élections présidentielles en Côte d’Ivoire. Comment il a réussi d’avoir accès aux deux camps ennemis: chez Laurent Gbagbo et chez l’actuel président Alassane Ouattara ?
J.-F. L. : J’ai toujours adoré de donner de la place aux photographes qui vivent l’événement dans leur pays. Ils ont un regard très différent de quelqu’un qui y arrive pour quinze jours ou un mois. Issouf, travaillant et vivant en Côte d’Ivoire, a forcément eu accès à des moments divers aux deux camps. Son regard dans tous les travaux que j’ai vus sur la Côte d’Ivoire, est l’un des plus percutants que j’ai vus.
RFI : Vous avez évoqué les événements non-photographiques de cette année, comme la mort de ben Laden et l’affaire DSK. Le reporter russe Youri Kozyrev a parlé du jour pendant la révolution égyptienne où il a été capturé et la carte mémoire de son appareil photo confisquée par des soldats égyptiens. Est-ce que ces événements sans photos rendent le photojournalisme impuissant ?
J.-F. L. : Il y a quelques années, quelqu’un disait : Il n’y a pas de grands événements sans images. Dans une civilisation on a tellement besoin d’images qu’on en fabrique des fausses. Prenez l’affaire ben Laden. Beaucoup de gens, trop, ont publié un montage bidon de Monsieur ben Laden soi disant après sa mort. Quand on n’a pas d’images, on en fabrique ! C’est ce que je regrette.
RFI : Sur la révolution en Egypte, vous avez reçu plus de 250 CD, mais les photographes étaient pratiquement tous à la place Tahrir. Est-ce que les photoreporters nous ont finalement fourni une vision aveugle de la révolution en Egypte ?
J.-F.L. : Non, ils ont fait ce qu’ils ont pu. Nous, on montre des photographes venus en Egypte et on montre également des photographes égyptiens qui ont fait leur boulot le plus honnêtement possible pour témoigner de ce qui s’est passé.
RFI : Il n’y avait pas une vision aveuglée par le fait que tous les photojournalistes étaient au même endroit ?
J.-F. L. : Quand ils ont été bloqué sur la place Tahrir, c’est vrai. Mais cela a duré uniquement cinq ou six jours. Après, ils ont pu se déplacer et les photographes égyptiens n’étaient pas scotchés à la place Tahrir. Donc, on a une vision d’ensemble.
RFI : L’année dernière, après quelques scandales concernant des photos déformées, vous avez exigé des fichiers originaux en format RAW, en quelque sorte le négatif numérique. Où en est aujourd’hui ? Les abus diminuent-ils ?
J.-F. L. : Malheureusement, c’est un combat perdu. Certains photographes manipulent trop leurs fichiers, mais quand c’est trop visible, je ne les utilise pas.
RFI : Cette année, tous les photographes ont fourni des fichiers en format RAW ?
J.-F. L. : Non, c’est impossible, ce n’est plus possible. Ils ne veulent pas. Donc, j’ai perdu ce combat.
RFI : Visa pour l’image a décerné pour la troisième fois le Prix France24 - RFI du webdocumentaire. En 2011, quelle est la place de ces images qui bougent et qui mêlent photo et vidéo par rapport aux images « immobiles » des photoreporters ?
J.-F. L. : Les webdocumentaires sont un excellent moyen de diffuser son travail. Malheureusement, pour le moment, le webdocumentaire ne représente pas un modèle économique valable. La production d’un webdocumentaire coûte beaucoup plus chère que ce que les sites achètent les webdocumentaires. Mais en tout cas, c’est une façon passionnante de montrer son travail.
RFI : Et quand un photographe réputé comme Guillaume Herbaut réalise avec le journaliste Bruno Masi le webdocumentaire La Zone, qui gagne ensuite le Prix du webdocumentaire de Visa pour l’image, est-ce qu’on peut dire que le festival a perdu un photojournaliste ?
J.-F. L. : Nous avons présenté le travail de Guillaume Herbaut sur Tchernobyl l’année dernière à Perpignan. Cette année, le jury du webdocumentaire lui a décerné un prix, mais je n’ai pas le sentiment que Guillaume manque au festival. Il est arrivé hier matin. C’est un photographe que j’aime, que je suis. Le webdocumentaire est complémentaire. Ce n’est pas du tout en concurrence avec le photojournalisme.
RFI : Le festival ferme ses portes un 11 septembre ! Cette date vous inspire quelle photo ?
J.-F. L. : On présente le travail de Jean-Michel Turpin qui est un photographe qui est allé à New York quelques jours après l’attentat du World Trade Center et qui y est retourné plusieurs fois et qui sort un livre à la rentrée qu’on a trouvé très impressionnant.
Visa pour l’image 2011, 23e édition du Festival international du photojournalisme, du 27 août au 11 septembre à Perpignan, France.
Jean-Michel Turpin : « Septembre - New York », éditions de La Martinière, 160 pages.