Santu Mofokeng se définit comme un chasseur d'ombres. Il traque la spiritualité et le besoin de croyance des Noirs opprimés pendant l'Apartheid dans les trains, églises, lieux de prêche et de prières. Il immortalise un cheval blanc décharné dans une forêt. Ou encore son frère, yeux clos, malade avant de mourir du sida. Grandi à Soweto, Santu Mofokeng commence comme photographe militant à Johannesburg dans les années 1980 pour lutter contre l'Apartheid. Mais très vite, il se rend compte qu'il n'est pas fait pour le photojournalisme.
Raconter des histoires
« Je n’ai pas le permis de conduire, donc je n’aurais pas pu être photoreporter et respecter les délais, explique-t-il. Quand j’ai commencé la photographie, j’ai tout de suite pensé en termes de livres. Du coup, la photographie devient un moyen de raconter des histoires. C’est pourquoi j’ai adopté le format de l’essai. Cela autorise toutes les nuances. Quand j’étais jeune, je voulais étudier la philosophie, et j’adore aussi la poésie. La photographie me permet d’exprimer cela, ainsi ma vision du monde. »
La spiritualité
Une vision du monde le plus souvent en noir et blanc. Sur les quelque 200 clichés exposés au Jeu de Paume, seuls quelques uns sont en couleurs : ceux de sa dernière série sur la pollution en Afrique du Sud. A 55 ans, Santu Mofokeng affirme rechercher la vérité, mais une vérité qui peut être ambivalente. « J’incite les gens à penser par eux-mêmes, pas forcément pour changer les choses, raconte-t-il. Si vous regardez les photos que j’ai prises spécialement pour cette exposition sur le thème de l’environnement, cela nous amène à un autre thème qui m’obsède, la spiritualité. Car il y a des gens qui se baignent dans les rivières polluées pour y communier avec les esprits, pour se purifier et à se sentir fort. Or, les écologistes disent qu’ils pourraient bien attraper des graves maladies. Cela illustre bien l’ambivalence des croyances… et de mes photos. »
D'Afrique du Sud à Auschwitz
Toujours en quête de vérité, et de façon peut-être plus surprenante, Santu Mofokeng est parti à Auschwitz, Ravensbrück ou Hiroshima pour voir comment d'autres peuples se sont réappropriés des lieux chargés d'une terrible mémoire. « Quand j’ai commencé à voyager en dehors d’Afrique du Sud, en 1996, le pays discutait encore du lieu du sinistre mémoire de Robben Island. Fallait-il en faire une résidence pour universitaires ou un mémorial ? Moi, je suis allé voir ailleurs. Comment on avait traité les lieux de mémoire comme Auschwitz, Mỹ Lai au Vietnam ou Nagasaki au Japon ? A l’époque, j’ai pensé que l’Espagne avait trouvé la meilleure réponse après Franco, car ils avaient enterré le passé. Maintenant, je sais qu’occulter le passé n’aide pas à préparer l’avenir. »
Santu Mofokeng, Chasseur d’ombres, 30 ans d’essais photographiques, jusqu’au 25 septembre à la Galerie du Jeu de Paume à Paris.
Le site de l’artiste : www.santumofokeng.com