RFI : Vous avez joué Ugolin en 1986, dans les films Jean de Florette et Manon des Sources de Claude Berri, adaptés de l’œuvre de Pagnol. Pourquoi ce premier film ?
Daniel Auteuil : C’était un besoin irrépressible, soudainement. Passer derrière la caméra, j’y ai pensé deux fois dans ma vie, la troisième fois était la bonne, mais cela doit être un acte fort et cela doit correspondre à quelque chose. Même si c’est pour raconter l’histoire de quelqu’un d’autre.
RFI : Quand avez-vous découvert Pagnol ?
D.A. : Je l’ai découvert par le cinéma, dans les années 1960, lors d’un festival rétrospectif du cinéma de Pagnol. J’ai des vagues souvenir des trucs en noir et blanc avec un son qui grinçait. Ce n’est pas un truc qui m’a marqué réellement. C’était quelques années plus tard : je suis à Paris, j’ai quitté Avignon, ma région, mes parents, pour aller faire du théâtre. Je suis en manque de lumière. Par manque, je lis Pagnol. Les paysages que Pagnol ne met pas dans ses films, mais qu’il met dans ses livres, je les ai mis dans mon film.
RFI : Après votre interprétation d’Ugolin dans Jean de Florette, vous êtes aujourd’hui Pascal Amoretti, le puisatier. Est-ce que ces deux personnages ont un point commun ?
D.A. : Non, sauf qu’ils sont des enfants de Pagnol. Sinon, Ugolin est un jeune homme un peu fragile, exalté, déséquilibré, qui court après une fille trop belle pour lui, comme une chèvre à travers la Garrigue, et qui a un destin tragique. Alors que Pascal Amoretti est un homme avec lequel nous pouvons davantage nous identifier. C’est un père de famille, veuf, il élève seul ses six filles. C’est sa particularité, mais là, on est chez Pagnol. C’est un type qui a ce courage d’assumer à la fois d’être un père et une mère. Il inculque à ses enfants des valeurs toutes simples comme la fierté d’être pauvre et de ne rien devoir à personne, le sens de l’honneur. Et il donne beaucoup d’amour.
RFI : C’est votre premier film. C’est un tournant dans votre carrière ?
D.A. : C’est un tournant, c’est un acte fort pour quelqu’un qui a passé sa vie à dépendre du désir des autres. Raconter une histoire de son propre point de vue, se prendre en charge, mettre en œuvre tout cela, c’est une nouveauté que j’ai envie de continuer, parce que j’ai besoin cela.
RFI : Patricia, la fille du puisatier, va se retrouver enceinte d’un bel aviateur. C’est le grand déshonneur de l’époque.
D.A. : Elle se retrouve fille-mère, parce que le garçon est parti au front, sans prévenir la fille. Elle est abandonnée. La grande affaire qui est la même aujourd’hui, c’est que faire pour une jeune fille qui se retrouve seule avec un enfant. Ce sont des thèmes de Pagnol. La venue d’un enfant non désiré, qui va faire exploser la cellule familiale. Plus tard, à la naissance de l’enfant, la cellule familiale va se recomposer. Entre les deux il y a l’histoire du film.
RFI : Pour vous, c’est la même histoire aujourd’hui ?
D.A. : Cette adaptation, c’est un regard que je porte sur une époque, mais cette époque qui me renvoie à aujourd’hui, me dit, que rien n’a changé. C’est juste pour dire que c’est moins une question d’honneur qu’une question de misère sociale.