RFI: C’est la 15e édition du Festival de l’imaginaire. Comment l’imaginaire a évolué pendant ces années?
Arwad Esber: L’imaginaire est une source intarissable qui se renouvelle tout le temps. L’imaginaire, c’est quelque chose qui est commun à l’ensemble des peuples et à tous les hommes. L’imaginaire est en relation étroite avec la vie quotidienne. L’imaginaire est là aussi pour donner et trouver des réponses aux problèmes, aux peurs, aux angoisses fondamentales de l’homme face à la vie, à la mort, à la faim, aux grands questionnements qui pose notre présence sur cette terre.
RFI : Aujourd’hui, faut-il titiller autrement l’esprit des Parisiens et des Français pour enrichir leur imaginaire ?
A.E. : Nous sommes en train de vivre une époque où les gens se posent des questions. Le rôle de la Maison des cultures du monde est de montrer qu’il y a plusieurs histoires différentes qui sont en train de s’écrire tous les jours dans le monde, par la musique, le spectacle, les rituels. C’est une manière de répondre au monde, de faire face au monde, de traiter avec les forces de la nature, avec tout ce qui nous entoure dans le monde.
RFI : Longtemps, l’imaginaire était lié à une certaine façon d’exotisme, avec des spectacles, des images, de l’art, de la musique venus des contrées très lointaines. Aujourd’hui, tout se trouve très près de chez nous, avec un clic sur Internet on voit ces rouleaux peints de Bengale, ces costumes de danse manipuri, ce spectacle des musiciens danseurs du Haut-Oyapock etc. Cette révolution, a-t-elle changé fondamentalement notre relation avec l’imaginaire et l’exotisme?
A.E. : Entendons-nous sur „exotisme“. Pour beaucoup, c’est ce qu’on ne connaît pas, ce qu’on regarde sans comprendre ce que c’est. Pour Victor Segalen (1878-1919, ndlr), qui est un grand poète, l’exotisme, c’est ce qui n’est pas moi et ce que j’ai à connaître. Ce n’est pas du tout l’exaltation de l’autre dans sa méconnaissance. Avec ces nouveaux moyens de communication, Internet etc., on peut accéder aux autres, mais comment ? C’est là que la Maison des cultures du monde peut jouer un rôle en présentant des formes musicales, par exemple ces patachitra, ces peintures, en expliquant ce que c’est. Il ne suffit pas à voir quelque chose de différent, mais il faut comprendre ce que c’est. Comprendre, cela veut dire apprendre à dialoguer avec l’autre, il ne suffit pas de voir et de se divertir. On n’est pas dans le divertissement, mais dans la connaissance de l’autre, sans pour autant se fondre et disparaître dans l’autre. Il faut garder une certaine distance pour pouvoir voir l’autre vraiment dans sa différence et accepter dans sa différence, dialoguer avec l’autre dans sa différence.
RFI : Quel est le spectacle qui vous a surpris le plus en préparant cette 15è édition?
A.E. : Je ne suis pas dans l’optique de surprendre, mais dans une perspective de connaître. Il y a parfois des images, des clichés par exemple pour les Emirats Arabes Unis ou le Bahrein, où l’on pense beaucoup plus à des mégalopoles, à une modernité galopante, mais il y a autre chose, et c’est cette autre chose qu’il faut voir. Les chants du Mawled sont des chants des pêcheurs de perles, ce sont des traditions qui sont maintenues, parce que ce sont des espaces où ils peuvent vraiment exprimer leur être profond, ce qu’ils sont réellement. Donc, surprendre n’est pas vraiment le terme, mais connaître au-delà les clichés.
RFI : Souvent le public cherche une certaine „authenticité“, des pratiques, des costumes, des rites traditionnels qui ne sont souvent plus très populaires dans ces pays d’origine. Dans votre programmation, quel rôle joue l’authenticité ? Est-ce qu’un musicien français maîtrisant les chants bahreïniens des pêcheurs de perles pourrait venir ici au Festival de l’imaginaire ?
A.E. : Je n’aime pas trop ce terme d’authenticité, parce qu’il peut faire penser à quelque chose de figé. Or, il n’y a rien de figé et tout évolue, parce que ce sont des humains qui sont porteurs de ces traditions. Les humains ne sont pas faits de cire ni de marbre. Ils ont des sentiments et ils réagissent. L’authenticité n’est pas vraiment notre souci. Ce qui est important pour nous, c’est que ce musicien de Bahrein croit à ce qu’il fait. S’il croit que c’est important pour lui, alors c’est important pour nous. On n’est pas du tout dans des formes figées qu’on apprendrait dans un conservatoire et qui ne changera pas depuis des siècles.
RFI : Est-ce que les autres cultures ont aussi une soif de monter un festival de l’imaginaire chez eux, de montrer par exemple des artistes et cultures européens inconnus chez eux ? Votre festival est-il devenu un modèle ailleurs dans le monde?
A.E. : Cela commence à le devenir, mais il faut savoir une chose : les relations étaient beaucoup plus centrées sur l’Occident et le reste du monde. Or, ce qui manquait, c’étaient les relations entre les autres pays, entre l’Inde et l’Afrique, entre l’Afrique et l’Amérique latine. Cela commence à être plus important et plus présent. Pourquoi il n’y avait que l’Occident et le reste du monde? À cause d’une hégémonie, une force économique et politique de l’Europe et l’Amérique du Nord. Aujourd’hui, on commence à constater que dans ces autres parties du monde, on commence à s’intéresser à son voisin, à un autre continent qui n’est pas l’Europe ni l’Amérique du Nord. Cela commence et tant mieux. J’en suis ravie.
La 15e édition du Festival de l'imaginaire, du 12 mars au 15 juin à Paris.