Un tsunami chanté sur un rouleau peint

Les patachitra constituent un art unique au monde, pratiqué par des artistes du Nord-Est indien qui maîtrisent à la fois la poésie, la peinture et le chant et concentrent leur savoir-faire dans le pater gaan, un récit chanté devant une peinture en rouleau. Un art millénaire qui traite aussi bien des sujets d’actualité. A l’occasion du 15e Festival de l’imaginaire, ces rouleaux peints des conteurs ambulants de Bengale sont pour la première fois exposés à Paris.

Jeudi soir dans la galerie Frédéric Moison dans le 6e arrondissement de Paris. Elle est là, habitée par son sari indien, ses cheveux noirs en queue de cheval et sa présence enracinée. Swarna Chitrakar, 37 ans, est née dans le village de Naya, à l’ouest de Calcutta. Pour la première fois à Paris, elle raconte son rouleau peint sur le Tsunami en chantant avec sa voix stridente et ses voyelles qui vibrent.
 

Sur la toile allongée, au milieu d’un cadre fleuri, elle dépeint la terreur avec un monstre déchaîné et des couleurs lumineuses, des femmes englouties et des buffles qui périssent. A ce moment, elle ne sait pas encore que sur l’autre côté du globe se prépare déjà la plus grande catastrophe que le Japon a connu depuis la Seconde Guerre mondiale. « Au départ, cet art populaire abordait la mythologie hindoue et musulmane (les villageois de la région se situant entre hindouisme et islam, ndlr). On raconte les grandes épopées comme le Râmâyana et le Mahâbhârâta. Chez les musulmans, on a travaillé sur le Coran ou l’histoire du Gazi Pir, c’est quelqu’un qui a propagé l’islamisation dans le monde. Aujourd’hui, on traite aussi des sujets d’actualité. On veut sensibiliser les gens, éduquer les autres, les villageois, les gens de tous les milieux. C’est pour cela qu’on a créé des rouleaux peints qui parlent du réchauffement climatique, de la plantation des arbres etc. »
 

Un art villageois, des histoires universelles

Swarna Chitrakar se considère comme une artiste féministe qui traite les histoires de Krishna et Radha au même titre que des sujets brûlants d’actualité comme le Sida, la mutinerie de l’Indigo ou l’alcoolisme sur un support traditionnel. Une forme artistique qui est née au VIIIe siècle de notre ère. A travers son art villageois elle raconte des histoires universelles. « C’est notre gagne-pain. Les villageois achètent nos peintures, quand ils écoutent nos chansons, ils nous donnent de l’argent. Sinon, les gens des villes aussi achètent, même à l’étranger. On a une clientèle partout dans le monde. »
 
Elle a exposé avec succès dans toute l’Inde, aux Etats-Unis et en Suède. En même temps, le patachitra, littéralement « peinture sur étoffe », était une tradition en perdition. Pendant que les conteurs ambulants se font de plus en plus rares dans les villages, aujourd’hui, de plus en plus de collectionneur en raffolent, raconte Manu Chitrakar, 40 ans, également né dans une famille d’artistes dans le village Pingla : Il y avait un moment où l’on avait complètement perdu le fil, où l’on avait vraiment perdu cet héritage. Mais aujourd’hui, il y a un renouveau. Même nos enfants commencent à s’y intéresser. Oui, cela ne se perd plus. Cela se renouvelle et cela se réveille. »

Le chant est la signature des tableaux
 

Chitrakar, le nom désigne les artistes du patachitra. Sur leurs rouleaux peints ne se trouve aucune signature. « La signature se trouve toujours dans la chanson, remarque Writtwik Banerjee, le traducteur des chitrakars à Paris. Dans la dernière ligne du poème, ils signent et donnent leur nom et adresse. »

Dans l’un des patachitra, Manu Chitrakar raconte les effets du 11 septembre 2001, dans un autre l’histoire de Martin Luther King, son enfance, sa confrontation avec l’histoire de l’esclavage, son combat contre le racisme. L’artiste a également illustré un roman, en collaboration avec l’écrivain américain Arthur Flower et le designer italien Guglielmo Rossi. Un signe supplémentaire pour la portée désormais internationale du patachitra.

Patachitra du Bengale, exposition à la galerie Frédéric Moisan à Paris dans le cadre du 15e Festival de l’Imaginaire, jusqu'au 16 avril. Entrée libre.

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