« T’es qui ? Tu viens d’où ? C’est comment ton pays ? Quelle est ta culture ? Pourquoi tu l’as frappé ? » Des questions, toujours des questions. Des questions qui désarçonnent, interpellent, pour mieux brouiller le suspect. On est dans un commissariat parisien où un jeune banlieusard d’origine africaine est interrogé par le capitaine de police. Accusé d’avoir tué un policier, le jeune homme est invité à s’expliquer sur les mobiles de son crime. Mais sans doute parce qu’il a trop fumé, trop bu, il ne peut saisir le sens des questions, et se contente de répondre aux hurlements des policiers par ses cris de bête traquée, suppliant ses tortionnaires de s’arrêter. Ainsi commence Le Cœur des enfants-léopards, le très beau roman du Congolais Wilfried N’Sondé porté aujourd’hui à la scène par les frères Niangouna. La pièce inaugure la saison 2011 du Tarmac de la Villette, une des rares salles parisiennes à consacrer sa programmation entièrement à la création théâtrale francophone.
Dans le labyrinthe de l’imaginaire du héros
Mise en scène par Dieudonné Niangouna, qui a été révélé au public français par ses prestations nombreuses et très remarquées au Festival d’Avignon, l’adaptation théâtrale du roman de N’Sondé est interprétée par le frère aîné du metteur en scène, Criss. Une interprétation magistrale qui relève de la performance, une véritable performance, à la fois de souffle et de présence.
Seul sur scène durant presque soixante-dix minutes, le comédien parcourt le plateau de long en large, intégrant le public dans son jeu riche en allers et retours entre la salle et la scène, entre les voix en off et le monologue du comédien, entre la réalité brouillée, fantomatique et l’imagination nostalgique du personnage principal.
« Le mental du protagoniste est par essence le lieu propre de la scénographie », explique le metteur en scène dans sa note d’intention. En effet, toute l’action de cette pièce pleine de bruits et de fureurs se déroule dans la tête du protagoniste. Dès les premières interpellations, qui prennent le spectateur à témoin, on est invité à entrer dans le labyrinthe de l’imaginaire du héros, habité par la beauté de la petite amie Mireille partie pour toujours et par la voix de l’ancêtre enracinée au plus profond de l’être. Les mots fonctionnent ici comme le fil d’Ariane conduisant le spectateur sur les chemins sombres de la vie et de la cohabitation. Jusqu’à l’anéantissement.
Une descente « orphéïque » dans les enfers de la conscience
La pièce raconte une histoire contemporaine où se mêlent les thèmes de l’Afrique, de l’immigration, de la cohabitation difficile entre majorité et minorités. C’est à la fois en comédien et en chorégraphe que Criss Niangouna incarne les dérives de son personnage et sa descente « orphéïque » dans les enfers de la conscience, rythmée seulement par la voix de l’ancêtre qui résonne en off comme une didascalie sonore : « Marche comme un seigneur parmi les autres, pense constamment au sens de tes actes, tout pas résonne, les tiens étonnent ! Prends garde à ton port de tête, surtout quand la vie fait mal au corps ou au cœur. Crache violemment au sol s’il le faut, sois sourd au souffle mauvais et mesquin, celui-là t’entraîne dans la tanière du regret, de l’envie et du ressentiment… »
Le Cœur des enfants-léopard de Wilfried N’Sondé / Dieudonné Niangouna, au
Tarmac de la Villette, du 1er au 19 mars 2011. Réservations : 01 40 03 93 95